pas géwél [griot], je m’abstenais de chanter en public, chanter étant considéré comme efféminé, sauf pour les griots. Dans mon quartier de Gueule Tapée, je n’ai jamais raté un seul tamtam de Doudou Ndiaye Rose [… ] (Leymarie, 1999). Et souvent les difficultés ne manquent pas de se poser sur le chemin des géer qui veulent trouver leur voie dans la musique. D’autant qu’ils ont des origines aristocratiques. A ce propos, le cas du chanteur Salif Keїta, descendant d’une famille princière du Mali, est bien connu mais l’est moins celui d’Omar Ndiaye « Xosluman », fils de nobles descendants du Bourba Alboury Ndiaye Roi du Djolof. Lors d’un entretien7, il nous a relaté les écueils desquels il a dû triompher pour faire accepter à ses parents la pratique de la musique. Mais l’enseignement qu’on peut tirer de son histoire se situe ailleurs : l’attitude du griot attitré de la famille qui a accepté difficilement son statut de musicien. Il lui a dit qu’il « qu’il ne l’accepterait jamais ! Qu’il ne le comprendrait jamais ! » . Il ne peut plus le voir, comme s’il avait honte de lui. En effet, il accepte mal que son roi soit musicien, chacun doit garder sa place sur l’échiquier social. Il reste que ce phénomène de « décastification » est beaucoup plus marquant en ville qu’en zone rurale. Lors de nos enquêtes, nous avons dénombré sur un échantillon de 100 personnes : 52 % de géer, (caste supérieure) 22 % de gewél (griots), 4 % de teug (forgerons et bijoutiers) et un taux de pourcentage relativement élevé de non-réponse (22%) que nous interprétons comme la délicatesse relative à une telle question pour ceux qui refusent de s’assumer mais également la non-existence de ce phénomène de caste chez certaines ethnies du Sud comme les Diolas. Ce que corrobore cette étude88 de Yann N. Diarra (Op cit. : 251) faite à Dakar sur la musique sénégalaise et qui fait remarquer que : « Même si une part importante des mu7 L’entretien a eu lieu le jeudi 14 /09/2000 sur la plage de Ngor village siciens reste issue de cette caste, la plupart d’entre eux (69,5 %) ne le sont pas ». Il en fournit la lecture suivante : il s’agit là d’une évolution sociale et culturelle des métiers de la musique et que l’urbanisation et les nouvelles structures sociales qu’elle impose - passage d’une société de castes à une société de classes – ont redonné sa place et son rôle aux musiciens dans la société. Aussi séduisante que puisse être une telle analyse, nous ne partageons pas cette interprétation pour la simple raison que, selon nous, l’urbanisation et la nouvelle structuration sociale n’ont pas eu raison du système des castes. Même si la base matérielle qui sous-tend ce phénomène a disparu, il reste que l’idéologie qui le fonde est toujours vivace dans les esprits. En conséquence, nous considérons que l’évolution sociale et culturelle des métiers de la musique s’explique par la mise en place d’une industrie musicale au Sénégal et que beaucoup de musiciens pensent y trouver un créneau porteur. Toutefois, nous sommes d’accord avec son hypothèse qui consiste à dire que la pratique de la musique en milieu rural reste fortement liée à l’appartenance sociale pour deux raisons, selon nous, que voici : le conservatisme inhérent aux sociétés rurales et l’absence d’infrastructures musicales. Autres aspects révélés par l’étude de Yann N. Diarra : la pratique traditionnelle de la musique (percussions, formes de chants et de danses) est dévolue à la caste des griots alors que la plupart des géer font de la musique moderne. 5. Le Changement de mentalité Avec la mobilité sociale, la décastification, un changement de mentalité a été opéré en ce qui concerne la société. Une révolution dans le secteur de la musique qui engendre des mutations sociales. Du coup, le visage de la musique et l’image des musiciens se trouvent changés. Il fut, en effet, un temps où la musique était considérée comme une activité frivole et le musicien Biramawa Magazine-Page 21
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