Comment expliquez-vous la recrudescence de la migration irrégulière ? Nous assistons depuis quelques jours une forte médiatisation des départs des pirogues à partir des côtes sénégalaises vers l’Espagne, on pourrait parler de recrudescence ou de regain mais faut-il que l’on soit d’accord qu’il n’y a pas eu arrêt des départs des candidats aux voyages irréguliers. Je pense qu’après Barca ou Barsaax, les routes du désert ont été engagées avec une forte affluence. Seulement sa médiatisation a connu moins d’effet parce qu’entre autres raisons, il y a la loi 36-2015 au Niger qui a criminalisé les voyages irréguliers vers l’Europe ensuite on ne connaît pas assez le nombre de victimes dans le désert. “Au Sénégal, le retour du migrant réussi a une forte in" fluence sur les candidats aux voyages et sur la communauté où il vit. Leurs propos rapportés font d’eux des super héros, partis les mains vides mais revenus avec un succès rayonnant sans surtout l’aide de l’État ou des politiques. C’est en partie ce qui explique souvent cette fracture entre la diaspora et politiques. Il faut signaler qu’en plus du retour, il y a d’autres migrants depuis leurs pays de transit ou d'établissement qui envoient des photos ou des vidéos grâce aux réseaux sociaux montrant une vie facile avec le bonheur en abondance alors qu’il n’en est rien du tout. Voilà autant d’éléments qui font qu’à partir du pays d’origine, le Sénégal, l’Europe est perçue comme un Eldorado, le lieu où il faut se rendre pour se réaliser. En clair, le voyage pour de nombreuses populations sénégalaises n'est pas simplement synonyme d'acquisition d'un travail stable mais il symbolise parfois la voie à entreprendre pour faire fortune et acquérir aux yeux de ses pairs un prestige social. L’Europe, une réponse aux flux migratoires irréguliers actuels ? Au Sénégal, le retour du migrant réussi a une forte influence sur les candidats aux voyages et sur la communauté où il vit. Cette influence est à la fois matérielle et immatérielle. Au-delà de la maison construite au retour et autres biens (voitures, bijoux, habits, etc.), le migrant grâce à son succès connaît une mobilité sociale et il en fait profiter aux membres de sa famille. Ainsi, la réussite du migrant est une sorte de capital social ou une carte à exhiber pour rappeler sa position sociale. Autre élément, le migrant de retour ne parle jamais de ses difficultés ou de ses souffrances sauf s’il a envie de se victimiser pour rappeler le mérite de son succès. A part cela, le migrant de retour ne montre que de belles photos et souvent celles prises à côté de bâtiments ou d’édifices emblématiques comme la Tour Eiffel, les Champs Élysées, etc. pour ceux qui sont en France. Europe en crise mais les Sénéga“Chez certaines ethnies, « migrer est un devoir » qu’on ne " cesse de rappeler aux jeunes à chaque fois que l’occasion se présente.. lais préfèrent partir ? Vous savez le mythe de l’Eldorado ne va pas si vite s’effondrer malgré le fait que l’Europe soit en crise. Et puis, pire, les pirogues sénégalaises qui s'échouent sur les côtes espagnoles ne font que nous édifier sur l'intensité du désir de chercher fortune en Europe par les candidats à la migration. Il nous faut reconsidérer notre lecture sur le fait migratoire d’autant plus que dans le système langagier sénégalais des proverbes sont annoncés - çà et là – pour faire l'apologie du voyage ou des migrants. Chez certaines ethnies, « migrer est un devoir » qu’on ne cesse de rappeler aux jeunes à chaque fois que l’occasion se présente. S'il est récurrent d'entendre dire chez les Haalpulaar « Si tu as un fils laisse le partir, un jour il reviendra soit avec de l'argent soit avec le savoir ou bien avec les deux ». Novembre 2020-Biramawa Magazine-Page 17
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