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Avons-nous, à notre insu, soustrait nos enfants à leur habitat naturel ? Avons-nous éliminé le jeu libre de l’agenda des enfants ? leur imposons-nous un cadre trop rigide, des horaires trop chargés, des vies de fou ? et si c’est le cas, peut-on faire marche arrière ? Doit-on le faire ? le rouleau compresseur de l’urbanisation a lissé, uniformisé, pavé et bétonné les paysages qui regorgeaient jadis de cachettes, de lieux secrets et d’endroits sombres qui faisaient le bonheur des enfants. si nous avions, dans le passé, l’occasion de nous perdre dans un boisé, de jouer dans une rigole ou de grimper un talus sans jamais quitter le voisinage, ce n’est tout simplement plus possible aujourd’hui. les citadins, les banlieusards, les autoroutes et les immenses centres commerciaux sont autant de rats qui grugent les champs. Bon an mal an, la Commission de protection du territoire agricole du Québec reçoit quelque 3 000 demandes de dérogations de toutes sortes afin de bâtir des logements ici, d’agrandir un golf là-bas, de construire un centre de distribution au loin. Ce faisant, on accroît la pression sur les terres agricoles... et sur les terrains de jeu officieux des enfants. De verts, ils sont devenus gris. De riches, ils sont devenus pauvres en biodiversité. « Dans ma cour, maintenant, c’est un nouveau développement, un décor aseptisé, loin de mon doux souvenir d’antan », chante Marie-Annick lépine. Avec raison. Dans la vieille europe, où les urbains s’entassent dans des endroits exigus, autant qu’en Amérique du Nord, où l’espace ne manque pourtant pas, l’enfant qui jette aujourd’hui un coup d’œil par la fenêtre (car il ne sort plus !) a de fortes chances de ne voir comme animaux que des écureuils, des pigeons et des chats en liberté, ce que confirme une étude publiée en 2004 dans la revue scientifique Bioscience. « Dans les villes à travers le monde, écrivent les chercheurs américains, la plupart des résidants se concentrent dans des quartiers ayant une biodiversité grandement appauvrie. la conséquence est tragique et sous-estimée : des milliards de personnes n’auront jamais l’occasion de développer un intérêt pour la nature ». À l’urbanisation s’est ajoutée la popularité du petit écran, encore plus avec l’avènement d’émissions éducatives dans les années 1970. Trop contents que leurs bambins cessent de « perdre leur temps », les parents ont tout de suite vu les bienfaits de cette télé positive qui apprenait tant de belles choses. la popularité de Passe-Partout ici et de Sesame Street ailleurs L’ENFANT un monde à RE-CONNAÎTRE a incité les chaînes de télévision à en offrir plus aux enfants, privilégiant avec le temps, restrictions budgétaires obligent, la quantité plutôt que la qualité. les amis de Cannelle et Pruneau, de Big Bird et elmo ont eu des enfants à leur tour. le petit écran a pris une place grandissante, allant même parfois jusqu’à remplacer la gardienne, voire le temps parental accordé aux bouts de chou. Ajoutons à cela les Nintendo, devenus Xbox, devenus Wii, si chers aux jeunes générations. la place prépondérante de l’auto dans l’aménagement des villes. la culture de la peur alimentée par les nouvelles en continu. l’illusion si caractéristique de notre époque du sacro-saint risque zéro. et le contrôle parental, croissant à mesure que le nombre d’enfants par ménage décroît. Résultat : nos enfants s’enferment de plus en plus pour profiter des avantages de la maison, mais aussi pour s’isoler des dangers de l’extérieur. Mot d’ordre général : la sécurité, surtout pas l’expérience. Inexistantes au Québec, les études sociologiques menées aux États-Unis, en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas, entre autres, confirment l’impact de ce virage sur les habitudes des plus petits. Dans les années 1950 et 1960, jouer signifiait jouer dehors. Plus maintenant, précise une analyse néerlandaise publiée en 2005 dans Children’s Geographies. la chercheure lia Karsten, de l’Amsterdam Institute for Metropolitan and International Development studies, rappelle qu’à cette époque, cela allait de soi, vu l’exiguïté des logements et la liberté accordée aux enfants. Alors qu’aujourd’hui, pour diverses raisons allant du contrôle parental aux peurs modernes, les enfants s’amusent à l’intérieur. Généralisation ? oui, mais une généralisation qui se confirme sur le terrain, de l’avis des éducateurs, des gestionnaires des Muséums nature de Montréal, des experts en santé publique, des biologistes, des urbanistes, etc. « Il y a moins de contacts avec la nature et, par conséquent, moins de connaissances de la nature, confirme Yves Paris, chef de la division de la programmation du Biodôme de Montréal. Ce manque de contact a transformé nos jeunes en illettrés des éléments de la nature ». les inscriptions chez les scouts, rare groupe basé sur l’intérêt pour la nature, en témoignent, même si l’éloignement de la nature n’est pas l’unique raison de cette désaffection. l’Association des scouts du Canada comptait 26 356 membres jeunes en 1999-2000, mais à peine 13 289 en 2008-2009, une chute de moitié. 41

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