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ACTES DU SYMPOSIUM ET COL L OQUE INTERNATIONAL 2012 L’ENFANT Un monde à RE-CONNAÎTRE

Ce document est en vente au Regroupement des centres de la petite enfance de la Montérégie. Les photographies prises lors du Symposium, du Colloque international et de l'ensemble des activités entourant cet événement sont disponibles sur la galerie souvenir du RCPEM au www.flickr.com/rcpem. Dépôt légal – 2012 Bibliothèque et Archives nationales du Québec Bibliothèque et Archives Canada ISBN : 978-2-923909-40-0 © 2012 RCPEM Entrée principale : 1854, boul. Marie Saint-Hubert (Québec) J4T 2A9 Adresse postale : 1861, rue Prince Saint-Hubert, (Québec) J4T 0A5 Toute reproduction partielle ou complète de ce document par quelque procédé que ce soit, sans l’autorisation écrite de l’éditeur, est strictement interdite et constitue un outrage à la loi sur la protection des droits d’auteur. Les genres masculin et féminin ont été utilisés de façon épicène dans ce document.

ACTES DU SYMPOSIUM ET COL L OQUE INTERNATIONAL 2012 L’ENFANT Un monde à RE-CONNAÎTRE

L’ÉQUIPE DU COLLOQUE Direction ••• Claudette Pitre-Robin Coordination et organisation ••• Nathalie Sapina Conception de procédés administratifs et inscription ••• Soutien technique et logistique ••• Contenu ••• Naïma Boumedine ••• Annie Rodrigue Jean-François Beaule ••• Josée Charette ••• Pierre Gagnon ••• Cécile Hanna ••• ••• Josée Leroux ••• Annie Marcotte ••• Sylvie Martel ••• ••• Claudette Pitre-Robin ••• Nathalie Sapina Comité organisateur ••• Jocelyne Bernier ••• ••• Diane Héroux-Jean ••• ••• Danielle Renaud ••• Équipe du RCPEM ••• Charlotte Bergeron ••• ••• Carole Leclerc ••• ••• Nathalie Quintin ••• Autres ressources humaines ••• Josée Charette ••• Monique Legros Lucie Veilleux Nathalie Blouin ••• Manon Cardinal ••• Brigitte Lépine ••• Julie Marois ••• Annie Rodrigue ••• Chantal Bellavance ••• ••• Thérèse Émery ••• ••• Réjean Robin ••• Nathalie Sapina ••• France Bertrand ••• Cloé Émery Brassard ••• Lise Rosa ••• Patrick Roy ••• Conception des Actes du Symposium et Colloque international 2012 ••• Rédaction et révision de textes ••• Conception graphique ••• Impression ••• Brigitte Lépine Extragraphique ••• Imprimerie Dumaine Lyne Picard ••• picard.lyne@videotron.ca Josée Dumoulin ••• Sylvie Melsbach ••• Karine Tétreault Julie Brassard ••• Manon Ferland ••• Nathalie Sapina Loïc Côté ••• Annie Tremblay Sylvain Duquette Annie Marcotte ••• Céline Ricard Cécile Hanna Claudette Pitre-Robin Anik Dupuis ••• Mélanie Gauthier ••• ••• Annie Marcotte ••• Johanne Gauvin Julie Marois Johanne Pelletier Brigitte Lépine ••• Cassandra Letartre Sylvie Melsbach

MOT DE LA MINISTRE À titre de ministre de la Famille, je tiens à saluer l’initiative du Symposium et Colloque international 2012 « L’ENFANT, un monde à RE-CONNAÎTRE », organisé en mai dernier par le Regroupement des centres de la petite enfance de la Montérégie. Depuis plus de 35 ans, les colloques qu’organise votre Regroupement permettent à toutes celles et à tous ceux qui travaillent pour le bien-être des enfants de participer à des échanges enrichissants visant à améliorer les services de garde. Le choix du thème, la grande qualité des conférenciers et le nombre de participants issus du monde de la petite enfance ont fait de l’édition 2012 une réussite. La thématique « L’ENFANT, un monde à RE-CONNAÎTRE » a permis de mieux comprendre qui sont véritablement les enfants, ce qui les anime et comment ils perçoivent les choses. Les différentes activités proposées au cours du colloque ont apporté aux participants des outils précieux dans l’actualisation de leur rôle d’accompagnement auprès des enfants. Le Regroupement des centres de la petite enfance de la Montérégie place le bien-être des enfants et des familles au cœur de ses priorités et s’implique quotidiennement pour assurer leur plein épanouissement. C’est pourquoi je désire saluer également le travail important des partenaires qui, comme vous, mettent tout en œuvre pour offrir aux enfants un milieu de vie stimulant et positif où ils peuvent développer leur plein potentiel. Mieux répondre aux besoins des enfants et des familles du Québec est une priorité du gouvernement. Dans la poursuite de cet objectif, je me sens privilégiée de pouvoir compter sur votre collaboration, car c’est en conjuguant nos efforts que nous pourrons offrir ce qu’il y a de mieux aux familles québécoises. Ministre de la Famille

MOT DU PRÉSIDENT D’HONNEUR C est avec une grande joie que j’introduis ce colloque. La petite enfance a été longtemps boudée par maints intervenants qui commençaient à porter intérêt à l’enfant lorsqu’il devenait capable de s’exprimer par la parole. Il y eut même un temps où le bébé était considéré durant ses premiers mois comme une sorte de tube digestif dont la tête ne pouvait se remplir de désirs et d’images qu’après une phase de limbes où il n’était pas encore né psychiquement. Il fallut bien des efforts de parents et de cliniciens pour faire comprendre que la vie psychique débute dès la naissance et même dès les derniers mois de la vie fœtale. On sait à présent que ce petit être humain passe de sensations et de vibrations toniques à des impressions figurales dès les premiers jours afin de se construire progressivement un univers intérieur. Simultanément, il s’attache aux personnes gravitant autour de lui et sachant l’accompagner. Il absorbe ainsi les ingrédients affectifs, émotifs, sensoriels fournis par un milieu d’accueil. Il met toute son énergie pour entrer dans un véritable partenariat où lui et l’autre d’abord en partie confondus deviennent des duos, des trios, des quatuors apprenant à se situer et à exister comme des individualités. On ne crée donc pas un enfant. On lui permet de se créer et c’est ce processus d’élaboration mutuelle sur lequel nous allons réfléchir. Ce monde de la première enfance, il nous rejoint à la fois parce qu’il est celui de nos origines et à la fois parce qu’il nous interpelle profondément dans nos responsabilités avec cette fameuse question qui nous hante : Comment aider l’enfant à se bâtir en lui donnant ce dont il a vraiment besoin, mais en sachant respecter ses propres mouvements afin qu’il fasse éclore ses incroyables potentialités ? Merci à tous les organisateurs de nous convier à un tel projet. Merci à vous tous d’être venus si nombreux. Par nos observations, nos expériences partagées, nous avons tenté de soulever un peu le voile sur ce monde qui a été le nôtre et qui est devenu notre champ professionnel. Cet univers de l’enfance, il nous déroute, nous angoisse parfois, nous plonge en partie dans l’inconnu, mais il nous enchante et nous enrichit car le meilleur professeur de l’enfance, ce ne sont pas nos livres et nos conférences, c’est ce que le petit enfant nous dit et nous révèle si nous savons le regarder et l’écouter.

MOT DE LA PRÉSIDENTE L e Symposium et Colloque international 2012 a été un moment fort pour l'ensemble des CPE de la Montérégie et des professionnels de la petite enfance. Quelle générosité de la part des conférenciers et conférencières, qui ont accepté de partager leur grand savoir et la réflexion qu'ils mènent dans leurs champs d'expertise respectifs à propos de l'enfant, cœur de nos actions. Les retombées d'un tel événement sont importantes non seulement pour nous, qui accueillons quotidiennement les tout-petits dans nos installations et nos milieux familiaux, mais également pour les organisations ou les individus qui cheminent dans une même volonté de connaissance et de re-connaissance du monde de l'enfant. La tenue d'événements majeurs comme celui du colloque du Regroupement a un impact direct sur nos milieux et sur les enfants. Nous avons rarement l'opportunité d'entendre des sommités, des experts, les meilleurs réunis dans un même lieu, nous entretenir des théories et des recherches scientifiques aussi bien que de l'historique de certaines approches pédagogiques ou de leur déploiement, ailleurs dans le monde. L'instant d'une fin de semaine, la Montérégie s'est retrouvée au carrefour des connaissances, offrant à ses membres et à ses partenaires une source inestimable en terme d'inspiration humaniste. Profitons de la publication de ce document pour revivre ces moments exceptionnels et pour les partager et les faire vivre aux personnes qui n'ont pas pu y être, mais qui souhaitent aussi poser un regard renouvelé sur le monde de l'enfant. Un grand merci à la directrice générale du Regroupement pour son acharnement à rendre possible de tels événements, à son équipe pour la grande disponibilité dont elle fait preuve et à toutes les autres personnes qui se sont impliquées de près ou de loin dans cet événement, dont les bénévoles sans qui ce Colloque n'aurait pu être tenu. Au plaisir de vous revoir au prochain rendez-vous !

MOT DE LA DIRECTRICE N ous avions de grandes attentes pour ce Symposium et Colloque international 2012 qui réunissait des conférenciers exceptionnels, devant le nombre record d’inscriptions, devant la convergence de nos passions respectives pour la petite enfance et je me dois de dire que nous n’avons pas été déçus. Cet événement a su toucher chacun d’entre nous qui avons eu la chance d’y participer et il marquera ainsi tout le réseau des centres de la petite enfance. La thématique du Colloque, « L’ENFANT, un monde à RE-CONNAÎTRE » nous invitait à changer notre regard, à regarder le monde tel qu’un enfant le regarde, à enrichir nos connaissances, à partager des savoirs, à échanger sur des idées et c’est ce que nous avons pu faire tout au cours des diverses activités auxquelles nous étions conviés. Plus encore, nous avons pu rêver le monde que l’on veut pour nos enfants, nous avons pu voir le monde tel que nous souhaiterions qu’ils y vivent. Merci donc aux conférenciers venus de divers coins du monde, aux parents, aux éducatrices en petite enfance, aux responsables d’un service de garde en milieu familial, aux conseillères pédagogiques, aux gestionnaires, aux autres membres des personnels des services de garde, aux enseignants et aux partenaires de toutes les régions du Québec et d’ailleurs. Merci de tout cœur à chacun de vous et un merci tout particulier à ce grand homme de cœur et d’humanité, le docteur Michel Lemay, président d’honneur de notre événement. Ces Actes du Symposium et Colloque international 2012 vous permettront de revivre et de garder bien vivant le souvenir de votre participation au moment magique que fut ce Colloque. Pour ceux qui n’ont pas eu ce privilège, nous espérons qu’il vous permettra de nous rejoindre dans ce grand rêve. Bonne lecture.

SOMMAIRE 09 ••• 10 ••• 28 ••• 62 ••• LES CONFÉRENCES RÉSUMÉS DE TEXTES DU SYMPOSIUM RÉSUMÉS DE TEXTES DU COLLOQUE RÉSUMÉS DE TEXTES DU COLLOQUE PARENTS ET RSG EN MILIEU FAMILIAL 68 ••• 72 ••• CONCOURS DE PHOTOGRAPHIES : un regard sur l'enfant CARNET SOUVENIR ••• Un rendez-vous petite enfance mémorable ••• Événement S.O.S Planète ••• Le Salon du livre, un lieu de rencontre et d'enrichissement ••• Se retrouver en équipe... ••• Une équipe indispensable ! ••• Lancement du coffret de DVD intitulé Lóczy vu par... Myriam David, Maria Vincze, Judit Falk, Geneviève Appell et Anna Tardos ••• Les partenaires du Symposium et Colloque 7

LES CONFÉRENCES SYMPOSIUM 01 REGARDS CROISÉS sur la petite enfance L’enfant en 2012 Bernard GOLSE Le stress et le très jeune enfant : Quoi observer ? Que faire ? Ashley WAZANA Prévention, promotion de la santé et développement de l’enfant : enjeux, défis et impact Christine COLIN L’importance du lien que l’on crée avec l’enfant Anna TARDOS L’importance de la famille pour l’enfant Michel MANCIAUX Tout ne se joue pas avant 6 ans Michel LEMAY 02 PANEL Animation : Stéphan BUREAU Panellistes : Bernard GOLSE, Christine COLIN, Anna TARDOS, Michel MANCIAUX et Michel LEMAY COLLOQUE 03 04 L’ENFANT, un monde à RE-CONNAÎTRE Charles E. CAOUETTE Des sens au sens Bernard GOLSE 05 ÉTINCELLE 06 Pour une gestion au service de la mission 07 Observer un enfant pour mieux le connaître 08 Reggio Emilia, comme si nous y étions Accueillir l’enfant • théâtre-forum COLLOQUE PARENTS ET RSG en milieu familial Michel BÉLANGER Alain LEBEL Dale GOLDHABER et Jeanne GOLDHABER 09 10 11 Pour amorcer une réflexion… Michel MANCIAUX L’importance du lien que l’on crée avec l’enfant Anna TARDOS Perdus sans la nature François CARDINAL 01 Pour les parents : L’enfant : centre des préoccupations de l’administrateur Louise CHAMPOUX-PAILLÉ Pour les RSG en milieu familial : Accueillir l'enfant • théâtre-forum ÉTINCELLE 02 Comprendre le monde de l’enfant Jean EPSTEIN 03 L’approche Pikler-Lóczy, grandir autrement Bernard MARTINO 04 La valeur ludique d’une aire de jeu Sylvie MELSBACH 9 12 14 15 L’alimentation en service de garde Stéphanie CÔTÉ 13 Reggio Emilia : mission bien-être Lella GANDINI L’attachement Michel LEMAY et Michel MANCIAUX Développement de la motricité au premier âge selon Emmi Pikler Agnès SZANTO-FEDER 16 Aménagement comestible et écologique Ismael HAUTECOEUR 17 Entre collègues, des relations de qualité • théâtre-forum ÉTINCELLE 18 19 L’enfant et sa famille Vania JIMENEZ L’enfant qui bouge trop Bernard GOLSE ACTIVITÉS DE CLÔTURE Le monde de l’enfant 20 ÉTINCELLE PANEL Animation : Stéphan BUREAU Panellistes : Michel LEMAY, Anna TARDOS, Michel MANCIAUX, Agnès SZANTO-FEDER, Marie-France DUCAS, Cassandra LETARTE, Mélanie GAUTHIER et Claudette PITRE-ROBIN

SYMPOSIUM 01 REGARDS CROISÉS SUR LA PETITE ENFANCE les victoires progressives sur l’infertilité des couples et les avancées considérables de l’Assistance Médicale à la ProcréaL’ENFANT EN 2012 Bernard Golse Pédopsychiatre et psychanalyste • France on sait que l’accueil de l’enfant par ses parents dépend en grande partie des représentations mentales que ceux-ci se sont forgées à son sujet. Ces représentations mentales que Michel soulé appelait « les bébés-dans-la-tête » constituent l’enfant dit « imaginaire » dont on décrit habituellement en quatre composantes principales : l’enfant fantasmatique (groupe de représentations inconscientes propres à chacun des deux parents), l’enfant rêvé par le couple (groupe de représentations conscientes et préconscientes), l’enfant narcissique (Freud) et l’enfant dit mythique ou culturel, enfin (lebovici). C’est cet enfant mythique ou culturel qui nous permet le mieux de réfléchir à la question de l’enfant aujourd’hui. tion n’ont fait que renforcer ces différents courants d’évolution qui sous-tendent le mythe de l’enfant parfait. Mais, dans le même temps, l’enfant se doit d’être le plus rapidement possible autonome, c’est-à-dire le moins longtemps bébé afin de ne pas trop interférer avec le travail des parents qui est souvent prioritaire avant la naissance de l’enfant et qui doit ensuite être rapidement repris. le trait est sans doute un peu forcé, mais il comporte cependant sa part de vérité. on notera, par exemple, que les prétendus progrès de la puériculture vont souvent dans le sens d’un éloignement progressif, mais rapide, du corps du bébé et de celui de l’adulte (évoquons ici ces petits transats en tissu éponge qui permettent de donner le bain aux bébés sans risque de glissade ou de... noyade !). Comme s’il fallait qu’assez vite, le bébé dispose de son propre espace corporel et comportemental distinct de celui de ses parents. sociologiquement au moins, la fusion n’est plus dans l’air du temps, mais ceci nous amènera peut-être à rappeler que parmi les droits de l’enfant il y a, tout simplement, le droit à l’enfance ! De ce fait, il est l’objet d’un triple risque : - celui d’être attendu par des adultes dont les représentations mentales le concernant sont devenues trop rigides et trop figées, et qui ne sont donc pas suffisamment prêts à l’imprévu dont le nouveau-né est toujours porteur ; Chaque époque, chaque société, chaque groupe culturel élabore, en effet, ses représentations spécifiques de l’enfance et celles-ci imprègnent, qu’on le veuille ou non et qu’on le sache ou non, le fonctionnement psychique des adultes qui composent ces groupes, à savoir les parents ou les futurs parents. Dans notre société, par exemple, l’enfant est devenu de plus en plus précieux (parce que de plus en plus rare compte tenu de la diminution progressive de la taille des fratries), de plus en plus tardif (l’âge des mères à la première grossesse a régulièrement augmenté jusqu’à récemment) et il se doit également d’être de plus en plus parfait (au fur et à mesure des progrès des techniques biomédicales pré- et périnatales). 10 - celui de ne pas avoir le temps suffisant d’être un bébé du fait des exigences qu’on lui impose d’être trop vite autonome ; - celui, enfin, d’être considéré comme la dernière des utopies des adultes, mandat à l’évidence trop lourd à porter pour lui, et qui ne peut donc être source que de déceptions. Derrière cette évolution générale des représentations des adultes à l’égard de l’enfant et de l’enfance, l’ambivalence foncière des adultes est, en réalité, une ambivalence qui repose sur un équilibre difficile entre les représentations de l’enfant que nous aurions aimé être, et celles de l’enfant que ACTES DU SYMPOSIUM ET COLLOQUE INTERNATIONAL 2012

nous craignons d’avoir été. C’est là ce qui nous rend difficile de renoncer à notre pouvoir sur les bébés et sur les très jeunes enfants, d’où notre tendance à les priver, souvent, de l’un de leurs besoins fondamentaux, soit celui de leur permettre d’actualiser toutes leurs compétences par eux-mêmes, et à leur rythme propre, sous le regard d’un adulte présent et étayant, mais pas trop intervenant. les jardiniers savent bien qu’il ne sert à rien de tirer sur les feuilles pour qu’elles poussent. les feuilles et les fleurs poussent de l’intérieur, mais sous le regard aimant et encourageant du jardinier à leurs côtés. Tout ceci doit nous amener à mieux définir, parmi les droits de l’enfant, un droit à l’enfance. LE STRESS ET LE TRÈS JEUNE ENFANT : QUOI OBSERVER ? QUE FAIRE ? Ashley WAZANA Chercheur clinicien • Québec Bien sûr, la maladie mentale chez l’enfant est une réalité. Il existe des facteurs de risque avant même la naissance de l’enfant, pendant la grossesse, de même qu’il existe des facteurs génétiques. À cet effet, nous avons besoin d’être vigilants ; la psychopathologie existe bel et bien chez les tout jeunes enfants. on peut trouver des symptômes d’anxiété, de dépression même, chez des enfants en très bas âge, dès deux ans, et il est possible de détecter ces symptômes. Afin que la prévention et l’intervention précoce exploitent la plasticité de l’enfant dès la petite l’enfance, il nous faut mieux comprendre les facteurs de risque et de protection. Ce qui se passe avant la naissance revêt donc une grande importance : le fœtus est en réaction aux changements intrautérins, il se développe en s’adaptant à son environnement. Barker (1989) émet l’hypothèse que l’origine de plusieurs maladies remonte à la malnutrition pendant la période prénatale. Déjà à la naissance, on peut percevoir des signes : un petit poids de l’enfant à la naissance ou la présence de stresseurs chroniques, par exemple. le tempérament de l’enfant semble lié à ce qu’il a vécu pendant la grossesse : les réactions, les craintes, l’agressivité, l’impulsivité, l’anxiété, la dépression, les problèmes ou des retards cognitifs ou moteurs sont tous liés à des événements vécus pendant la période intra-utérine. la recherche évolue ; les chercheurs peuvent maintenant démontrer que ce que l’on fait après la naissance de l’enfant est d’une importance capitale. on ne peut toutefois ignorer la question du déterminisme qui est apparue et qui réussit à infléchir nos motivations et celle de notre confiance que notre existence en tant que parents ou en tant qu’intervenants font réellement une différence dans la vie de ces familles et de ces enfants. Il faut toujours rester confiant ; ce qui se passe avant la naissance compte, mais ce qui se passe après compte tout autant. REGARDS CROISÉS sur la petite enfance les chercheurs ont beaucoup travaillé sur la sérotonine (le « gène du bonheur ») : l’allèle court du gène, associé à une baisse de la transcription, du transport cellulaire et de la capture de la sérotonine, est en lien avec la psychopathologie ; il est associé à l’anxiété, à la dépression et à l’émotivité négative. Cette association faite chez l’adulte semble toutefois beaucoup moins claire chez l’enfant. on a pensé que les découvertes entourant le génome humain allaient nous apporter un véritable éclairage, alors qu’on a réalisé qu’il manquait certaines informations majeures. la question du « pourquoi l’ADN ne peut prédire notre futur ? » est ainsi restée sans réponse. si l’on prend l’exemple d’un ver de terre : il compte 19 000 gènes et possède un génome de 97 mégabases. l’enfant humain, quant à lui, possède un génome de 3 000 mégabases, soit 330 fois plus qu’un ver de terre, mais ne possède que 30 000 gènes, à peine 1,5 fois plus ! Pourquoi cette dispro11

SYMPOSIUM portion, pourquoi le génome n’a-t-il pas plus de gènes ? en fait, on s’aperçoit au fil des recherches qu’un gène ne produit pas nécessairement « quelque chose »; il doit compter sur des « interrupteurs » pour permettre que se produise quelque chose. lentement, on s’est aperçu que l’environnement joue ce rôle d’interrupteur, le développement étant en quelque sorte une interaction constante entre les gènes et l’environnement. Mais tel que l’a illustré Donald Hebb de l’Université McGill : « se demander ce qui de la nature ou l’environnement contribue le plus au développement de la personnalité, c’est se demander ce qui contribue le plus à la surface d’un rectangle, la longueur ou la largeur. » Comment peut-on étudier l’interaction entre tous ces facteurs ? Dans le cadre d’une étude (2003 – 2011) portant sur la qualité de l’environnement après la naissance, on a émis l’hypothèse que l’hétérogénéité de l’impact des facteurs de risque pendant la grossesse sur le développement et le comportement de l’enfant reflète en partie la génétique et la qualité de l’environnement après la naissance. Dans le cadre de cette étude, la relation mère-enfant a été observée très finement. on en est venu à la conclusion que la relation avec le parent influence beaucoup l’évolution de l’enfant, en fonction du fait que l’enfant porte ou non le gène « protecteur ». Quand la mère en plus a souffert de dépression pendant la grossesse, même si l’enfant possède ce « gène protecteur », l’ampleur de l’impact est plus grande. la relation mère-enfant compte donc… Quelques études viennent confirmer ces hypothèses. Ainsi, les résultats de l’Étude longitudinale du Développement des Enfants du Québec (ELDEQ) ont confirmé que la fréquentation d’un CPe constitue un facteur de protection et de diminution des risques chez des enfants de familles défavorisées et vulnérables, particulièrement dans le cas où la mère n’a pas de diplôme secondaire. le risque pour son enfant de développer un caractère agressif est moindre s’il fréquente un CPe. la relation avec les éducatrices joue bien sûr un rôle majeur, l’attachement constituant un facteur de grande influence. Cet attachement secondaire (entre l’enfant et l’éducatrice) peut avoir un rôle protecteur quand l’éducatrice est attentionnée et sensible, mais dans le cas d’un attachement primaire (entre l’enfant et son parent) solide et stable, la fréquentation d’un CPe peut augmenter le risque de psychopathologie chez l’enfant. le développement d’un attachement secondaire est un facteur de protection, mais le résultat n’est pas homogène : 12 Le contexte des naissances au Québec évolue sans cesse. Après une diminution marquée du nombre des naissances au cours des dernières années, celles-ci sont à nouveau plus nombreuses et se stabilisent à 88 500 naissances en 2011, tandis que l’âge moyen de la mère au premier enfant est en hausse et dépasse légèrement 28 ans. les inégalités sociales persistent : quelle que soit la définition adoptée, le pourcentage d’enfants qui vivent dans la pauvreté au Canada et au Québec reste élevé : entre 10 et 15 % selon les années et la méthode de ACTES DU SYMPOSIUM ET COLLOQUE INTERNATIONAL 2012 il faut prêter une attention particulière aux facteurs portés par l’enfant et sa famille. Ainsi, le stress interagit avec les vulnérabilités pour causer des difficultés d’adaptation. le stress prénatal, les éléments de l’expérience avant la naissance, la génétique, le stress familial et le tempérament sont les premiers signaux qu’on voudrait identifier chez les enfants à risque. Il est donc important d’identifier les facteurs qui modèrent le risque et qui influencent positivement la trajectoire de l’enfant. C’est le cas des interventions qui ciblent la relation mère-enfant, qui augmentent la sensibilité maternelle. Dans le cas des CPe, des interventions doivent aussi se faire auprès des intervenants pour leur permettre d’augmenter leur sensibilité, ce qui peut manifestement avoir une influence positive, un impact sur la qualité de l’attachement secondaire développé avec l’enfant. on constatera alors une amélioration de l’évolution de ces enfants vulnérables. Inutile de rappeler qu’il reste encore beaucoup de travail sur la planche… PRÉVENTION, PROMOTION DE LA SANTÉ ET DÉVELOPPEMENT DE L’ENFANT : ENJEUX, DÉFIS ET IMPACT Christine ColIN Médecin et professeur titulaire • Québec

calcul retenue. Près de 650 000 enfants au Canada et près de 150 000 enfants au Québec (parfois plus) vivent dans la pauvreté, au sein de familles mono ou biparentales. Au Québec, 37 % des enfants vivant dans des familles bénéficiaires de l’aide de dernier recours ont moins de 6 ans (2005-2006). et malheureusement, l’écart entre les riches et les pauvres ne cesse de se creuser. la prématurité (nouveau-nés de moins de 37 semaines) continue d’augmenter (7,3 % en 2009) et le retard de croissance intra-utérine (nouveau-né trop petit pour son âge gestationnel) reste élevé (8,6 % en 2009). Ces deux pathologies rendent les enfants plus à risque de poids insuffisant à la naissance (5,8 % en 2009), de maladies graves, de troubles de développement ou de mortalité. la mortalité infantile (de la naissance à 1 an) est maintenant de 4,3 pour mille naissances : 30 % de ces décès sont causés par la prématurité. l’asthme et les autres maladies de l’appareil respiratoire, les allergies, les traumatismes non intentionnels et les malformations congénitales sont les principales causes de maladies chez les enfants de moins de 5 ans. la dépression maternelle et ses effets sur la mère et l’enfant, les troubles de l’attachement, du développement et les troubles émotionnels chez l’enfant, la violence envers les enfants sont encore bien trop fréquents. le développement et la santé des jeunes enfants sont en fait fortement marqués par les « déterminants de la santé » qui sont multiples et liés à la biologie (condition physique, maladies génétiques, etc.), aux habitudes de vie (alimentation, tabagisme, etc.), à l’environnement physique (logement, pollution, etc.) et surtout à l’environnement social et économique (pauvreté, isolement, etc.). Plus largement, l’oMs définit les déterminants sociaux de la santé comme « les circonstances dans lesquelles les individus naissent, grandissent, vivent, travaillent, vieillissent ainsi que les systèmes mis en place pour faire face à la maladie »1 . le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec a adopté en 2010 un cadre conceptuel de la santé et de ses déterminants2 qui prend en compte le contexte global (notamment politique, économique et social), les caractéristiques des différents systèmes et milieux de vie et les caractéristiques individuelles qui influencent l’état de santé - globale, physique, mentale et psychosociale - de la population. Parmi les déterminants sociaux de la santé, la grande pauvreté et l’exclusion sociale sont particulièrement dommageables. REGARDS CROISÉS sur la petite enfance elles sont caractérisées par un cumul important de difficultés, leur persistance dans le temps, l’absence de savoir et de pouvoir reconnus. les enfants et les parents sont marqués par les effets physiques et psychologiques de la pauvreté, l’insécurité chronique, l’angoisse et la honte. Dans ce contexte, la naissance d’un enfant est d’autant plus un réel projet pour les mères, qui donne sens à leur vie et qui apporte l’espoir d’une vie meilleure3 . Même si elles ont constamment peur d’être jugées incompétentes et de se faire « retirer » leurs enfants et même si leurs compétences sont souvent niées, la majorité des familles défavorisées font preuve de trésors de courage et de résilience pour élever leurs enfants. Malgré tous les efforts de leurs parents, les enfants sont cependant marqués par les dures conditions de vie de leur famille qui compromettent leur santé et leur bien-être. l’impact de la pauvreté sur la santé et l’excès de morbidité et de mortalité qui en résulte sont maintenant bien connus, qu’il s’agisse de l’excès de prématurité ou de retard de croissance intra-utérine, des problèmes de santé physique ou de développement, de mortalité, de santé mentale et d’estime de soi. les effets de la pauvreté pendant la petite enfance sont très dommageables, car en plus des conséquences sur la santé, ils ont aussi des conséquences sur la performance et la réussite scolaires et sur la santé à l’âge adulte. Pourtant, les chaînes de conséquence ne sont pas un déterminants, les parents ont des compétences réelles, certes souvent masquées par les conditions de vie, mais qui ne demandent qu’à être révélées et soutenues. les programmes de prévention et les politiques peuvent avoir un réel impact pour améliorer la santé des enfants et modifier les trajectoires de vie. Il y a donc lieu de tout mettre en œuvre pour à la fois réduire l’impact de la pauvreté sur la santé et le bien-être et réduire les inégalités socioéconomiques, la pauvreté et l’exclusion sociale. Il existe de nombreux programmes de prévention en période périnatale et à la naissance : soutien alimentaire olo, promotion d’une saine alimentation et de l’activité physique pour les femmes enceintes, programme « Pour une maternité sans danger », promotion et soutien de l’allaitement, programmes d’intervention précoce, prévention du syndrome du bébé secoué, etc. Par ailleurs, d’autres programmes ciblent des domaines spécifiques pour la santé des enfants : nutrition, vaccination, prévention des traumatismes et de la violence, etc. Ces programmes, certes efficaces, sont cependant insuffisants s’ils restent isolés. le concept de Promotion de la santé a donc été développé, en se basant sur le constat de l’impact limité de ces programmes spécifiques et sur la persistance d’écarts 13

SYMPOSIUM importants entre les groupes sociaux d’une part, sur l’étude des déterminants sociaux de la santé d’autre part et enfin sur le constat que la santé et le bien-être sont les résultats à la fois d’effets collectifs structurels et de caractéristiques individuelles. « La promotion de la santé est le processus qui confère aux populations les moyens d’assurer un plus grand contrôle sur leur propre santé et d’améliorer celle-ci »4 . elle vise à intervenir le plus tôt possible sur les déterminants individuels et collectifs de la santé auprès des familles et des communautés en créant des environnements et des conditions favorables à la santé. elle cible le développement de politiques publiques et de milieux de vie favorables au développement et à la santé (au centre de la petite enfance, à l’école, au travail, dans la ville ou ailleurs), le développement des aptitudes personnelles à la santé et l’autonomisation (empowerment) ainsi que la participation des individus, des familles et des communautés. Au Québec, le programme Naître Égaux – Grandir en santé (NE-GS) mis sur pied en 1989 s’inspire de cette approche ainsi que des exemples des programmes globaux d’intervention américains. Par la suite, les services intégrés en périnatalité et pour la petite enfance (sIPPe) ont été développés avec la même approche. Ils proposent aux mères et aux enfants, de la grossesse jusqu’à 5 ans, une approche globale intégrant des suivis individuels personnalisés et une intervention intersectorielle et communautaire. Ils s’appuient sur un ensemble de facteurs de réussite bien identifiés : des changements d’attitudes des intervenants misant sur le non-jugement, le respect des valeurs et des compétences des mères et la création d’une vraie relation de confiance, la précocité, la continuité, l’intensité et la souplesse de l’intervention, l’approche globale et personnalisée, la présence d’une intervenante privilégiée (et engagée), le travail en équipe multidisciplinaire, la participation et la mobilisation du milieu (ressources communautaires), le partenariat et la concertation. l’évaluation rigoureuse du programme NE-GS (essai clinique randomisé avec 1 340 femmes de 1994 à 1998)5 a démontré son efficacité : les futures mères sont rejointes, l’attitude des intervenantes a changé, les mères et les intervenantes sont satisfaites. les femmes reçoivent beaucoup de soutien ajouté : informatif, alimentaire et psychosocial. elles se nourrissent mieux, ont moins d’anémie postpartum et moins de symptômes dépressifs après l’accouchement (deux fois moins chez les mères dépressives en prénatal). l’alimentation des nouveau-nés est meilleure : plus d’allaitement, moins de lait de vache. les mères consultent plus rapidement en période 14 postnatale et sont moins réticentes face aux milieux de garde auxquels elles confient plus facilement leur enfant. le projet a entraîné plus de développement communautaire et d’action intersectorielle. en somme, les gains substantiels du programme NE-GS sont significatifs, malgré la persistance du tabagisme chez les femmes et en conséquence, l’absence de diminution de la prématurité ou du retard de croissance intra-utérine. en suivi du programme NÉ-GS, les services intégrés en périnatalité et pour la petite enfance (sIPPe), offerts depuis 2004 de la 12e semaine de grossesse jusqu’à l’âge de 5 ans dans tous les centres de services sociaux et de santé (CSSS) du Québec, visent à maximiser le potentiel de santé et de bien-être des enfants et à inclure la naissance dans un projet de vie porteur de réussite tout en renforçant le pouvoir d’agir des personnes et des communautés. Ils accompagnent les familles (mères pauvres et peu scolarisées ou de moins de 20 ans) par des visites à domicile régulières, des activités de groupe pour les parents et des ateliers de stimulation parent-enfant, l’intégration de l’enfant en milieu de garde (incluant la possibilité d’obtenir la gratuité partielle ou complète des services de garde) et l’accompagnement vers les ressources du milieu. le programme vise aussi le soutien à la création d’environnements favorables au développement optimal des enfants et l’action intersectorielle concertée, locale, régionale et nationale. Au niveau international comme au Québec, les interventions de développement précoce visent l’amélioration de la santé des enfants et, dans la majorité des cas, la réduction des inégalités, en s’appuyant sur le rôle « pivot » de la mère, et en adoptant une approche globale, qu’il s’agisse de visites à domicile ou d’autres interventions pour soutenir la parentalité. les effets sont positifs sur la santé physique de la mère durant la grossesse et celle de l’enfant, le développement cognitif et socioaffectif des enfants, le lien parent-enfant, les pratiques parentales, la santé mentale du parent, le taux d’allaitement, la diminution des blessures non intentionnelles et du risque de maltraitance et de négligence. les effets sont plus marqués chez les populations les plus vulnérables. les programmes qui combinent les visites à domicile et une intervention directe auprès de l’enfant semblent plus efficaces (services intégrés et multiples). les programmes préscolaires obtiennent aussi des effets positifs en prévenant le retard de développement cognitif ACTES DU SYMPOSIUM ET COLLOQUE INTERNATIONAL 2012

et en augmentant la préparation pour l’école, en prévenant les conséquences négatives à l’adolescence et à l’âge adulte (réduction de l’abandon scolaire, de la criminalité et du chômage chez les jeunes adultes ayant bénéficié de ce type de programmes dans leur petite enfance). Ils ont aussi des effets positifs chez les parents (moins de grossesses, augmentation de l’emploi, diminution de la criminalité et de l’aide sociale, etc.). Ces programmes sont plus efficaces et ont plus d’effets s’ils font partie d’un ensemble de services coordonnés pour les familles, incluant les soins des enfants, l’aide pour le logement et le transport, un soutien nutritionnel, des opportunités d’emploi et les soins de santé. Cependant, la santé des enfants n’est pas seulement l’affaire du secteur de la santé et il y a lieu de développer aussi des politiques publiques intersectorielles et des partenariats pour renforcer (empower) les communautés et pour améliorer la santé et l’équité en santé, comme le préconise l’organisation mondiale de la santé. Pour améliorer la santé des mères, des enfants, des familles et des communautés, il faut à la fois agir en amont des services de santé, miser sur l’éducation et les centres de la petite enfance, investir dans les programmes de promotion de la santé, influencer les politiques intersectorielles et faire de la réduction des inégalités un véritable enjeu. 1 oRGANIsATIoN MoNDIAle De lA sANTÉ. Commission des Déterminants sociaux de la santé. Combler le fossé en une génération : instaurer l’équité en agissant sur les déterminants sociaux de la santé, Rapport final, Genève, 2008. 2 Msss. Le Cadre conceptuel de la santé et de ses déterminants - résultat d’une réflexion commune, Québec, Gouv. du Québec, page 44. 3 COLIN, Christine, OUELLET, Francine, BOYER, Ginette et Catherine MARTIN. Extrême pauvreté, maternité et santé, Montréal, les Éditions saint-Martin, 1992, 259 pages. 4 le résultat des découvertes et des recherches théoriques psychologiques des décennies passées est aujourd’hui connu. Ainsi, nous possédons des connaissances de plus en plus larges et différenciées de l’importance et de la nature de l’attachement primaire. oRGANIsATIoN MoNDIAle De lA sANTÉ. Charte d’Ottawa pour la Promotion de la santé, ottawa, 1986. 5 BRODEUR, Jean-Marc, Ginette BOYER, Louise SÉGUIN, Michel PERREAULT, Christine COLIN, Bruno THÉORÊT, Qian XU, Daniel BEAUReGARD et suzanne De BloIs. « le programme québécois Naître égaux – Grandir en santé : Étude des effets sur la santé des mères et des nouveau-nés », Santé, Société et Solidarité, 2004, 1, pages 119-127. la question peut s’élargir : le bébé et le petit enfant vivant dans tout autre milieu ont-ils besoin d’un lien personnel, sécurisant ? Y a-t-il possibilité d’établir un lien individuel sécurisant lorsqu’il s’agit d’un groupe d’enfants, loin de la mère ? Quels sont le contenu et la nature du lien à développer, ce lien dont ont besoin ces enfants ? Quelles sont les conditions les plus importantes de la création d’un lien entre l’éducatrice et le bébé ou le petit enfant vivant loin de sa mère ? Par rapport à ces questions, voici quelques réflexions basées sur les résultats d’une pouponnière fondée par la pédiatre hongroise emmi Pikler, ensuite dirigée pas ses collaborateurs, de même que sur les résultats récents de la crèche fondée par ses collègues. REGARDS CROISÉS sur la petite enfance 15 L’IMPORTANCE DU LIEN QUE L’ON CRÉE AVEC L’ENFANT Anna TARDos Psychologue et pédagogue • Hongrie À partir de sa naissance, l’être humain est social. Pas seulement pour sa survie a-t-il besoin du soin, de la préoccupation d’un autre, d’un adulte ; cela signifie plus. Après sa naissance, il cherche tout de suite à établir un lien. la condition de base d’un développement physique et psychique sain est l’attachement profond avec sa mère, avec ses parents qui en prennent en soin ; l’attachement se forme dans le temps.

SYMPOSIUM emmi Pikler était pédiatre ; elle avait avant tout fixé son regard sur le développement physique et psychique sain du bébé et l’a promu. l’image qu’elle avait du bébé était celle d’un bébé en bonne santé, qui est paisible, a confiance en lui et en son entourage, qui est actif, intéressé et compétent. elle est toujours associée au mouvement libre du bébé. Grâce aux visites régulières qu’elle faisait dans les familles ayant des bébés, elle a contribué à la création d’un milieu plein de confiance. l’amour vécu de la famille vers l’enfant était lié à cette confiance. les difficultés de l’enfant y sont comprises, le petit enfant y est considéré comme un partenaire, ses efforts sont encouragés et valorisés. elle a donné des conseils très concrets comme comment être ensemble avec les bébés au cours des soins, un très important moment de rencontre avec le bébé. Il en est résulté un grand respect envers le bébé. lui parler avec raison à partir du début, même si les parents ont l’impression qu’il ne les comprend pas encore, le préparer aux gestes ou aux événements suivants, faire en sorte que le bébé puisse être un partenaire actif au cours des repas, des soins. Avec tous ces conseils, elle a aidé les familles à vivre ensemble en évitant les risques les plus fréquents qui peuvent compromettre leur relation. Dans la pouponnière qu’elle a fondée après la seconde Guerre, elle a réussi à réaliser ce maternage insolite dont on parle depuis, c’est-à-dire l’attachement réel entre la nurseéducatrice et le bébé ou le petit enfant privé de sa mère. la réalisation d’une relation sécurisante, attentive et personnelle entre l’enfant et l’éducatrice fait encore partie des conditions prioritaires de toute institution d’accueil ; il lui fallait alors d’une part créer les cadres institutionnels et ses conditions pour permettre la relation personnelle entre la nurse-éducatrice et l’enfant. D’autre part, il fallait aussi élaborer tous les détails du processus éducatif. C’est ainsi que sa conception de l’éducation et du soin est devenue plus détaillée, plus riche, plus fine. Dans les familles tout comme dans la pouponnière, le vécu constructif du bébé et du petit enfant est promu par le soin. emmi Pikler a toujours maintenu et répété que le bébé devait être touché par des mains fines, qu’il ne devait jamais être pressé, qu’il devait être considéré comme un partenaire en lui permettant de coopérer, que la parole lui étant adressée devait l’entourer pendant le temps passé avec lui. le bébé ou le jeune enfant séparé de sa mère cherche et a rapidement besoin d’une attention sécurisante, ce qui lui est assuré à lóczy. Naturellement, le temps que cela prendra et 16 l’harmonisation du processus dépendent de l’âge de l’enfant et de ses antécédents. Mais pour chaque enfant, après une période plus ou moins longue, on constatera que cette attention, ce lien sécurisant bâtis grâce au soin, se sont établis. le travail en crèche fut une tâche nouvelle par rapport à celle de la pouponnière : il a fallu prendre en compte le fait que l’enfant apporte, en les répétant, les habitudes qui viennent de son milieu familial. Même si ses parents ne sont pas physiquement présents, il les porte en lui, de même qu’il porte en lui ses habitudes qu’il retrouve chaque jour chez lui. Cela modifie la nature de la relation adulte-enfant : la qualité de cette relation sécurisante est tout aussi importante, mais revêt un tout autre caractère. en pouponnière, cette relation entre l’enfant et l’éducatrice est fondamentale. Pour les enfants de crèche, leur relation tout aussi fondamentale et significative se construit avec la mère, avec les parents, dans la famille. la professionnelle, qui n’a pas la tâche d’imiter la mère ni de faire comme elle, peut apporter à l’enfant une expérience différente de ce qu’il vit dans sa famille. elle apporte à l’enfant quelque chose de constructif pour lui, sans toutefois entrer en rivalité avec la mère. Comme a dit Myriam David « la mère soigne l’enfant parce qu’elle l’aime, l’éducatrice aime l’enfant parce qu’elle le soigne ». L’IMPORTANCE DE LA FAMILLE POUR L’ENFANT Michel MANCIAUX Pédiatre social • France la famille, importante pour l’enfant ? Cela semble une évidence, mais c’est oublier que de nombreux enfants sont élevés par un seul adulte – on parle quand même de « famille monoparentale » - que d’autres sont placés très tôt en institutions, et que s’il suffit de la rencontre furtive de deux adultes de sexes opposés pour faire un enfant au sens réducteur de cette expression, il faut aussi d’autres personnes et du temps pour élever cet enfant et en faire un être humain au sens fort de ce terme. le livre La naissance d’une famille de Thomas Berry Brazelton le souligne : tout comme l’enfant, la famille doit se faire. C’est l’enfant qui « parentalise » ses parents. la famille se vit, mais, comme beaucoup de réalités humaines, est difficile à définir tant sont nombreuses et variées ses ACTES DU SYMPOSIUM ET COLLOQUE INTERNATIONAL 2012

formes et ses fonctions suivant des facteurs juridiques, culturels, religieux, sociaux, économiques… Il n’est plus réaliste de définir la famille comme étant deux personnes de sexes différents vivant sous le même toit, même si elles ont un toit : les familles homoparentales sont déjà reconnues légalement dans de nombreux pays, et sans doute bientôt en France. si elles s’opposent, le développement de l’enfant s’en trouve compromis. Françoise Molénat, pédopsychiatre travaillant en maternité avec des femmes enceintes en grandes difficultés, écrit : « Découvrir que les médecins, les services travaillent ensemble constitue pour ces parents un véritable déclic : la visualisation de leur place dans un ensemble qui les contient. en même temps ils ressentent l’intérêt que ces professionnels éprouvent à travailler ensemble à leur propos. souvent une bascule s’opère qui ouvre la voie aux mots. » Ce message fort situe bien la place et le rôle des professionnels dans leur travail avec les familles. Cela vaut la peine d’essayer ! Pour finir, un message important : quand on interroge des groupes de jeunes sur leurs projets, leurs désirs et sur ce qui compte pour eux (selon les eurobaromètres périodiques), la famille vient en bonne place. C’est encourageant. Il faut les aider à concrétiser cet avis dans le respect de leur liberté. Le cycle de la vie familiale C’est d’abord la vie à deux que la venue ou l’adoption d’un enfant transforme en famille nucléaire. Grands-parents, frères et sœurs, neveux et nièces, cousins et cousines en font une famille élargie, mais les départs successifs entament une régression qui se termine par le décès des parents et l’extinction de la famille initiale, parfois prolongée par des familles filles. Il s’agit donc d’une réalité toujours évolutive au fil du temps. Parallèlement, il existe une grande variété de familles, avec des passages fréquents d’une forme à une autre : familles traditionnelles, monoparentales, homoparentales, « décomposées » par la mort ou le départ d’un conjoint, familles recomposées où la place et le rôle des nouveaux parents doivent être redéfinis pour le bien des enfants. Chacune de ces formes de familles a un potentiel d’harmonie et de développement que les acteurs sociaux doivent comprendre et favoriser sans jugements à priori. Personnellement, je récuse le terme de « familles à risques », car toute vie familiale comporte, à un moment ou à un autre, des moments difficiles. Au lieu de parler de familles vulnérables, il vaut mieux identifier les périodes de vulnérabilité dans le cycle des vies familiales et y apporter les soutiens nécessaires et adéquats. « Il faut un village pour élever un enfant », dit le proverbe africain. C’est dire l’importance d’une coéducation harmonieuse utilisant à bon escient les ressources éducatives de la communauté. Urie Bronfenbrenner parle à ce propos de contextes, primaires et secondaires, de développement en insistant sur le fait que si ces ressources et ces familles s’ignorent ou pire REGARDS CROISÉS sur la petite enfance TOUT NE SE JOUE PAS AVANT 6 ANS Michel LEMAY Pédopsychiatre et professeur titulaire • Québec Il m’arrive une drôle d’aventure ; il y a un petit enfant garçon ou fille, je ne sais, qui m’a dit : « Je veux parler à ta place ». Je vais lui laisser la parole… Il paraît que vous m’avez silhouetté, inspiré et donc créé bien avant que je naisse, au moment où la première fois vous vous êtes dit : « Mais si on avait un enfant, plutôt que de rester des personnes qui veulent seulement s’aimer et vivre ensemble ? » Je vous ai transformés en parents, alors que je n’existais pas. Je suis devenu celui ou celle qui agrandissait votre amour, mais en me plaçant déjà entre vous. Je suis devenu celui ou celle qui vous permettait de rejoindre vos lointaines origines, avec le désir de recommencer grâce à moi, des parties de vousmêmes que vous auriez voulu avoir et faire. Je suis devenu celui ou celle qui vous donnait l’illusion que grâce à ma présence vous pourriez continuer à être vivants malgré votre inexorable finitude. et puis on a annoncé que j’étais né dans le ventre de maman. et pendant 9 mois, vous ne m’avez pas vu, mais il s’en est passé des choses dans cette première demeure d’amour. Vous m’avez photographié, vous avez rêvé que je pensais déjà à vous, et puis au bout de quelques mois, quand je ne bougeais pas, vous vous inquiétiez, et quand je donnais des coups de pieds dans la paroi abdominale, vous me prêtiez un tas d’intentions comme si je vous disais quelque chose. 17

SYMPOSIUM Vous me parliez, surtout maman. et en palpant le ventre où j’étais niché, vous me caressiez. Moi j’étais actif ; quel travail ! Ces milliards et milliards de cellules qui doivent se différencier, se rejoindre, s’organiser, et peu à peu former un tout qui ressent des effleurements, des balancements, des glissements, qui entend des drôles de bruits, qui boit et rejette un liquide dans lequel je nageais en paix, rattaché à un cordon qui me donnait la vie. et puis je suis sorti, facilement ou avec un grand malaise réciproque. et quand pour la première fois, j’ai poussé un cri, vous l’avez entendu comme un appel, presque comme une conversation. Vous m’avez regardé des pieds à la tête, pour vérifier si j’étais bien complet, et vous m’avez langé, c’est-à-dire que pour la première fois d’une vie qui avait déjà neuf mois, vous m’avez habillé, mais pas n’importe comment ! en rose ou en bleu… Vous avez trouvé bien sûr que j’étais le plus beau bébé du monde, tout en me déposant d’abord longuement contre votre poitrine, puis dans ma deuxième demeure, celle d’un berceau inondé de vos présences. Au début, je dormais beaucoup, mais très vite, j’ai été en vigilance, prêt à répondre à vos sollicitations. Quand vous vous approchiez de moi, quand vous me leviez et que me parliez, quand vous me berciez, quand vous me plaquiez contre votre sein, quand vous me laviez, ma peau, mes oreilles, mes yeux, ma bouche, mon nez recevaient tous ces messages. Je vibrais dans mon corps au point où la tension de mes muscles se modifiait, que mon dos se raidissait comme si tous les tendons, toutes les fibres nerveuses résonnaient à la façon des cordes d’une harpe et me chantaient une sorte de musique devenant peu à peu une mélodie déchiffrable. Vous m’enveloppiez de sensations. et mon propre cocon de peau formait lui aussi une enveloppe me permettant de découvrir que j’existais en tant que corps, que j’avais un dedans et un dehors, que j’occupais un espace dont les limites se précisaient peu à peu. Ha, on a échangé des regards quand je tournais les yeux vers vous ! Maman, un petit moins papa parce qu’il avait neuf mois de retard, répondait au même moment non seulement par les 18 yeux, mais par un sourire, par des mots, qui me disaient « mon bébé… » ou bien « je t’aime… ». De mon côté, je ne restais pas passif. J’étais capable de vous suivre des yeux quand vous vous déplaciez, ma nuque devenait plus ferme, mes mouvements plus organisés, mes bruits un peu plus ondulés. et quand vous deveniez un petit peu trop envahissant, parce que vos marques d’affection devenaient trop encombrantes pour que je puisse les assimiler, je tournais la tête, je fixais un coin du plafond ou je m’endormais. Vous aussi, je l’ai bien senti, vous saviez doser ce que vous m’apportiez, et quand au très fond de moi-même il y avait comme une grande vague d’angoisse, de colère et d’un je-ne-sais-quoi d’engouffrant, vous me teniez bien fort. Vous transformiez ma peine en des sons, des mots, que je pouvais absorber. on est devenus des partenaires qui ont su s’ajuster aux bizarreries, aux caprices, aux richesses et aux limites de l’autre. À six mois, le monde s’est modifié, car j’ai pu me tenir vraiment assis, sans basculer de droite et de gauche. J’ai pu commencer à si bien coordonner mes gestes et à devenir si habile que les objets autour de mois sont devenus autant de choses non seulement à tenir, à cogner, à lécher, mais à découvrir puis à explorer. en fait, c’est un peu à partir de ce moment-là que ce sont créés deux mondes : celui de mes explorations solitaires, et puis celui d’un partenariat ajusté avec vous. Alors, parlons des deux mondes. le monde solitaire, à condition que vous repériez quand j’avais besoin de vous, je le trouvais extraordinaire. Je vous donne quelques exemples pour que vous compreniez. Vous aviez suspendu au-dessus de mon berceau un drôle d’objet dont s’échappaient des sortes d’étoiles. selon la lumière de la pièce, les scintillements étaient différents, et je passais des longs moments à regarder osciller ce firmament. Ça bougeait à des rythmes différents, ça tournait plus au moins vite autour de ma tête et j’ai peu à peu compris que toutes ces brillances n’étaient pas les mêmes quand je gigotais sur mon matelas ou quand je restais immobile. J’ai donc remué, pour vérifier, et vous n’allez sans doute pas me croire, mais dès mes premiers mois, j’ai pu constater que je pouvais agir sur ce qui était autour de moi. le bébé que vous pensiez autrefois être un petit tube digestif sans beaucoup de pensées inscrites dans mon crâne, hé bien ce bébé-là faisait une découverte à couper le souffle : je pouvais devenir le maître de mes étoiles. Avec un hochet c’était encore plus étonnant. Après l’avoir regardé, sucé, cogné et laissé tomber, j’ai remarqué qu’à chacune de ses chutes en-dehors de mon berceau vous veniez le ramasser ACTES DU SYMPOSIUM ET COLLOQUE INTERNATIONAL 2012

pour me le redonner. et vous pensez, si j’en ai profité ! Vous disiez : « Bébé! C’est la dernière fois que je te le redonne ! » Je vous regardais bien dans les yeux, j’envoyais le hochet pardessus bord, et pour entendre pour la ixième fois : « Cette fois-ci, bébé, c’est pour de bon, je ne vais pas te le rendre ! ». et… vous me le rendiez ! Je n’étais donc pas seulement maître de mes étoiles, je devenais un peu le maître de mes parents. les cris, c’était la même chose. Il y en avait qui ne déclenchaient rien du tout, vous disiez : « Bébé fait ses poumons », il y en avait qui m’inquiétaient et que je ne croyais pas avoir poussés parce qu’ils me faisaient peur, à ce moment-là vous vous rapprochiez de mon berceau pour me rassurer, il y en avait d’autres où je disais ma colère, où je réclamais mon dû. Qu’il s’agisse du biberon, du sein, de votre chaleur, de votre voix ou de votre odeur, vous me preniez, vous colliez une partie de moi contre votre poitrine, et là, j’étais bien à avaler tout ce qui était vous. et puis une autre partie, celle de mon dos, un bout de bras et un peu les yeux, faisaient corps avec un autre espace, celui des meubles, des rideaux, celui de mon frère ou de ma sœur, de papa… C’est-à-dire, le vaste monde. Une fois bien comblé, redisposé par terre et cette fois-ci en entier, j’allais explorer en flairant, touchant, suçant, ressentant, tout en me déplaçant à quatre pattes. et cette escapade à quatre pattes, elle m’offrait des expériences. Par exemple, sur le tapis, il y avait une chose ronde, avec une certaine couleur. Un peu plus loin, une autre chose ronde, mais pas de la même teinte. et puis très loin, à la frange du tapis, une troisième chose de la même couleur que la première. C’est celle-là que je voulais pour la comparer, la faire rouler, la cogner et puis la mettre contre sa copine. oui, me disais-je, c’est pareil, ça a la même texture, mais ça n’a pas tout à fait la même odeur. oui, si mon geste est plus accentué, la chose part plus loin. et si mon geste est tout doux, la chose se contente de frémir, sans avancer. et c’est ainsi que j’ai appris la logique des choses. C’est ainsi que, pas à pas, j’ai appris ce que vous appelez, je crois, les liens de causes à effets, et c’est aussi grâce à ces explorations que mon espace s’est agrandi, et qu’en l’arpentant, j’ai compris que des choses étaient permises, d’autres, impossibles à saisir, d’autres, douloureuses à tenir, d’autres, possiblement atteignables quand je deviendrai plus grand. et ce fut ma première désillusion. Je n’étais pas totalement puissant, et le monde des objets n’était pas totalement gratifiant, il pouvait même devenir méchant. Cela m’amène à vous parler du deuxième monde, celui où j’étais avec vous. REGARDS CROISÉS sur la petite enfance J’ai savouré bien de vos expériences et je vais juste vous en évoquer quelques-unes. C’était bon de sentir à travers vos mains et votre peau que vous saviez me tenir pour que je puisse m’incruster en vous et sentir que par vos touchers et vos bains sensoriels vous me transmettiez non seulement de l’amour, mais une sorte de sécurité qui me rendait suffisamment confiant pour oser expérimenter. en fait, je crois bien que vous étiez nécessaires pour me faire connaître le monde qui m’était peu à peu présenté. Mais attention, on était embarqués dans le même navire des exigences. À chaque rencontre, ceux qui m’aimaient m’offraient un petit morceau de leur univers en sachant choisir pour que je ne devienne pas trop désorienté, mais en sachant aussi l’agrandir, un tout petit peu, pour que je puisse l’explorer avec quiétude et avec plaisir vos parcelles d’espace qui devenaient miennes. et souvent, vous deviniez par mes mouvements, mes tressaillements, mes tensions, puis mes gestes et mes sons beaucoup mieux formulés, ce que j’aurais sans doute voulu faire si j’avais été plus capable de maîtriser mon corps et mes pensées. Alors, par la voix, par vos gestes, je me trouvais brusquement spectateur de ce que j’aurais pu être, et de ce que vous espériez que je devienne. Bien sûr ce n’était pas toujours exact, et parfois je ne comprenais pas grand-chose à ce que vous me présentiez. Mais, d’autres fois, vous tombiez tellement juste que j’avais l’impression de pouvoir regarder une image qui était peutêtre moi, peut-être vous, peut-être le deux, mais qui en tout cas, me donnait des points de repère pour aller un peu plus loin. Je vous donne un exemple. J’émettais de sons de plus en plus compliqués, car je faisais mes gammes pour apprendre à parler. et voilà que vous me disiez à ce moment-là quelque chose que je ne racontais pas, mais qui après tout aurait pu exister. « Beu beu areu », faisais-je. et vous répondiez : « Mais oui, tu me dis que tu es content, que tu attends maman, ou papa ». Vu avec le recul, je m’excuse, mais c’était un peu délirant. et ça pouvait même devenir figeant, mais finalement, c’était presque vrai parce qu’un peu plus tard, j’ai eu effectivement envie d’exprimer ma joie, mon attente de l’un d’entre vous. et plus tard, quand je commençais à dire « da da da da », maman entendait son nom, papa entendait le sien, et mamie et papi avaient même réussi à se persuader que j’avais réussi à prononcer des « i ». Alors, plus tard encore, quand j’ai dit pour vrai ces mots que vous anticipiez, vous en vouliez davantage, et vous entamiez un grand discours avec l’espoir que je vous répondrais sur le même ton et avec le même vocabulaire. en fait, vous m’entraîniez dans une sorte de rêve qui peu à peu s’enracinait dans la réalité et vous me disiez quelque chose de bien plaisant : « Je te vois déjà comme un petit enfant, capable de penser par toi-même ». 19

SYMPOSIUM on pourrait croire, quand j’évoque tout cela, que la vie était totalement rose. C’était peut-être vrai au début, mais ce qui est sûr c’est que je recevais beaucoup d’éléments sécurisants, sans que j’aie à bouger le petit doigt. J’étais comme dans un pays de merveilles et ça remplissait mon cœur d’une forme de bonheur dont j’ai peut-être tiré même un amour éternel de moi-même. les choses n’ont pourtant pas tardé à se gâter. Vous m’imposiez un rythme de tétée tandis que je vous imposais un rythme de sommeil. Vous m’offriez des moments de paix, de bruits, de douceurs et d’attentes qui, sans que vous vous en rendiez compte, me conféraient une notion de temps. Mais quand on a faim et soif, non seulement de lait, de chaleur, de protection, mais aussi de caresses et de bout de présence, et qu’il faut supporter qu’en dépit des cris et des appels, rien ne vient, hé bien il y a une sorte de colère qui apparaît en soi. on voudrait tout avoir, et on n’a que des parcelles d’un tout. on voudrait un sein aussi gros qu’un immeuble, et on n’a qu’un bout de téton avec lequel on peut sucer, jouer, se frotter juste pendant la période que vous avez décidé d’accorder. le monde devient à la fois sécurisant et incertain. Il y a comme une menace de pouvoir être délaissé, abandonné, attaqué, capturé ou rejeté qui pèse sur nous, sans aucun autre moyen de défense autre que des cris et des quêtes de regard. Ainsi débutent que vous le vouliez ou non, une montagne de bonheur et un abîme de terreur. Quelques mois plus tard surviennent des limites, disons des interdits qu’on n’avait pas prévus. Alors que c’était si bon de faire pipi et caca dans sa culotte, il faut se retrouver assis sur une sorte d’ustensile malcommode que vous nommez pot. si ce que vous attendez tombe dedans, ce sont des grandes exclamations, un branlebas de bravos, et si rien n’arrive, il y a des gros yeux, et puis plus tard, de vrais reproches. Alors, on obéit sans trop comprendre pourquoi, mais en pressentant que sans réponse de notre part, on pourrait peut-être vous perdre. on finit par découvrir que le plus grand danger c’est pas d’être abandonné, parce que quand même, vous êtes tout le temps là. Mais c’est d’être privé de ce qu’il y a de meilleur, à savoir, votre amour. Alors que faire face à de telles menaces, la piste est claire, tracée, balisée. Il faut suivre vos directives, afin que nous devenions maîtres de nos forces, de nos muscles, de nos moyens de contrôle. on éprouve une grande fierté de réussir là où vous nous amenez, et il y a d’autres périodes où on fait le contraire de ce que vous exigez. et dans la mesure où on n’exagère pas trop, on découvre une autre fierté, celle de pouvoir vous tenir tête. Ça, c’est la partie de nous que vous voyez. le petit gars ou la petite fille officiel de maman. l’autre partie, celle qui pense, qui ressent, qui se met à fabriquer du cinéma, qui 20 élabore des images, il vaut mieux que vous ne connaissiez pas les images. et nous aussi, faut peut-être les oublier. on vous aime, mais on vous déteste. on vous démords d’amour, et on vous croque dans la haine. on vous caresse dans l’extase, on vous déchire et on vous griffe avec toute l’agressivité qu’il nous est possible de mettre en œuvre. on dépose en nous, au plus profond de nos tripes, un univers du contraire. C’est un univers qui tantôt nous apporte la plus grande quiétude, et qui tantôt éveille des peurs d’origine inconnue. et des figures de monstres que vous savez plus ou moins apaiser lorsqu’elles deviennent des cauchemars. C’est drôle quand on y pense. Il faut passer par là pour devenir soi-même. si vous donniez tout, on n’en ferait rien puisqu’on resterait à jamais confondu avec vous. et si vous ne donniez rien, on en ferait un néant de détresse et de haine, qui nous submergerait au point de ne plus être qu’un magma de sensations impuissantes. Dans cette bagarre pour exister avec vous et sans vous, il y a une autre réalité bien difficile à assumer. et là, je vous confie un secret très, très intime… J’ai découvert, un jour que mes parents m’avaient mis dans leur chambre pour toute la nuit, que maman et papa, sans rien du tout sur leur corps, hein, faisaient de curieux bruits et de curieux mouvements, alors qu’ils étaient collés l’un contre l’autre. C’était bizarre, peut-être violent, peut-être tout doux, mais en tout cas une chose est sûre, ils n’ont jamais fait cela avec moi. et comme je m’étais mis à bouger et je crois, à protester, ils avaient arrêté leur charivari, et maman était venue me voir en m’intimant, gênée, de dormir. J’ai aussi remarqué à plusieurs occasions qu’ils aimaient rester seuls, en m’envoyant comme par hasard jouer dehors ou dans ma chambre, souvent le dimanche après le repas du midi. en fait, ils ont comme moi un jardin secret qu’ils ne veulent pas partager, et où manifestement je n’ai aucune place dans leur cœur. C’est dur de découvrir qu’on peut devenir dérangeant, et qu’il y a comme une sorte de banderole placée devant nos yeux où sont écrites en grosses lettres : « l’amour, la tendresse, la douceur, c’est comme les gâteaux de fête, il faut les partager ». Il y a même un autre slogan qui fait encore plus mal. sur une partie du gâteau, c’est écrit : « Nous le gardons pour nous, en l’utilisant autrement qu’avec toi, car il y a plusieurs formes d’amour et l’une d’entre elles nous est totalement réservée sans que tu puisses la consommer. » Dans ces moments de solitudes et de coupures, je vous jure qu’il y a un tsunami de colère. Mais il y a aussi quelque chose de passionnant qui se présente devant nous. Puisque vous nous privez de certaines choses, nous, on peut en trouver d’autres. on peut s’inventer un langage, une langue même. ACTES DU SYMPOSIUM ET COLLOQUE INTERNATIONAL 2012

on peut se construire une vidéo, dessiner d’immenses bédés remplies d’aventures où il y a de meilleures mamans et de meilleurs papas. où il y a des gens qui vous ressemblent un peu, mais qu’on peut emprisonner, voire décapiter. on peut partir pendant de longues périodes, surtout le soir au moment du coucher, sur une planète beaucoup plus grande et beaucoup plus belle que la lune où je suis juché. on peut tout rendre possible, même ce que vous prétendez impossible. les histoires si belles que vous nous racontez avant de s’endormir, on peut les mettre en action. et plus tard, grâce aux livres que peut-être on a envie finalement de lire à cause de tout ce manque en nous, on peut bâtir nos propres romans. Il y a même une chose extraordinaire, et là, on vous dépasse de beaucoup sur le plan de nos capacités. on peut jouer. Jouer juste pour se tirailler, pour se détendre, devenir plus agile dans nos mouvements. Jouer pour s’agiter, jouer à imaginer qu’on souffre, qu’on est abandonné, puis faire venir par un coup de baguette magique le personnage le plus puissant de nos rêves, de vos contes et de nos lectures. Jouer, avec son frère, sa sœur, ses copains, à mourir 107 fois, puis à ressusciter 108 fois afin de vaincre et la mort, et la finitude. Jouer pour devenir le meilleur scénariste du monde, par nos couleurs et la qualité de nos fondues enchaînées. Jouer les rôles des grands et vous donner des rôles de petits. Jouer en apprenant à gagner, à perdre, à devenir pour vrai un champion ou une victime, qui peut redevenir championne si c’est trop triste de rester dans l’esclavage. Jouer pour fuir l’école ou pour devenir professeur. ou pour faire brûler la bâtisse. ou pour devenir le meilleur élève de tous les temps. on peut aussi dessiner et tandis que vous vous extasiez un peu faussement sur nos « barbots », on peut y voir ce que vous n’y distinguez pas, car nos ronds, nos spirales et nos ratures sont autant de chefs-d’œuvre inconnus par la douceur des bleus, des rouges, des oranges que nous avons utilisés. Nous y voyons un ciel où vous voyez un cercle, nous y voyons nos réalisations futures là où vous apercevez une feuille maculée et barbouillée. Chacun est finalement dans son « comme si », et c’est comme ça que chacun possède son monde. Ce monde, il faut le partager non seulement avec la famille, mais dans des lieux extérieurs, que vous appelez centres de la petite enfance, garderies, pré-maternelles, maternelles et écoles. et là encore, c’est tout un branle-bas pour s’y insérer. Puisque je vous ai parlé du jeu, c’est là qu’on découvre des groupes d’amis avec lesquels on se tiraille, on invente des aventures. Bien sûr, si on avait des frères et des sœurs on a déjà connu plein d’activités en commun, mais si on était l’aîné, REGARDS CROISÉS sur la petite enfance on commandait, et si on était le petit, on se faisait commander. À l’extérieur c’est pas pareil. on est à peu près tous du même âge, on ne se connaît pas au départ. Il faut trouver sa place au milieu d’autres qui cherchent aussi leur place sans pouvoir se rattacher aux images familiales habituelles. Bien sûr on n’est pas seul : il y a des adultes, souvent gentils, parfois débordés, dont on apprend bien vite les noms, et quand la vie devient difficile, elles viennent vers nous, mais elles ne nous consolent pas et ne nous soutiennent pas du tout de la même manière que maman et papa. l’endroit est nouveau, même après pas mal de semaines, sans les jouets qui nous appartiennent, avec des garçons et des filles qui tantôt nous collent trop, tantôt nous tirent la langue, et tantôt ne veulent pas rester avec nous avec une phrase un peu assassine : t’es plus mon ami. Par moment, on est vraiment très bien, parce qu’il y a des activités amusantes, des histoires nouvelles à écouter, des jeux jusque-là inconnus à expérimenter, des chants un peu étranges à murmurer, des promenades où il faut se mettre en ligne, en se tenant par la main. C’est comme un troisième univers où il n’est pas facile de rêver tout seul, et où peu à peu on nous dit qu’il faut apprendre des choses d’une certaine manière. en fait, on est à la fois plus seul et plus bousculé, plus isolé et plus envahi par des drôles de sensations qui viennent du dehors et qui viennent aussi du dedans. et c’est souvent long la journée. et dans les mouvements de longueur, on pleure un peu. le problème c’est qu’on ne sait pas trop pourquoi les larmes sont venues. Peut-être elles cherchent à combler du vide et à diluer de la peine. C’est curieux. À la maison, dès qu’on fait un pet de travers, maman s’inquiète et nous touche le front pour savoir si on a de la température, et à l’école si on a eu de vraies coliques de peur ou de crainte de ne pas être à la hauteur de ce qu’on nous demande, on nous « ça va passer ! ». on devient des égaux face à une même réalité, il faut apprendre à grandir. en fait, si les parents ont été les premiers noyaux, on fabrique tellement d’écorces successives, au milieu de toutes ces peines, on ne sait pas trop ce qui fait partie de nous et des autres. Que dirais-je pour terminer ? Après le big bang originaire, notre toute petite terre s’agrandit, trouve des terreaux un peu partout, découvre des semences, apprend à les arroser, attrape un morceau d’étoile, se fait percuter par quelques météorites, est obligé de combler les trous laissés par les impacts. Cette petite terre dont la trajectoire était rêvée rectiligne par ceux 21

SYMPOSIUM qui l’ont lancée dans l’espace, elle a été attirée par quelques astres imprévus dont elle s’est dépêchée de prendre quelques diamants et métaux rares. elle croyait pouvoir rester avec eux, mais ils se sont écartés pour suivre leur propre destin. Cette terre en théorie elle nous appartient, mais il faut la sarcler, la bêcher, la modifier autant par soi-même qu’avec les autres. et je ne vous cacherai pas que je la trouve quelquefois bien envahie par vos demandes. C’est vrai que sans beaucoup de sable, d’argile et de cailloux apportés par vous, cette petite terre ne pourrait pas résister à toutes les tempêtes. elle risquerait d’être aspirée par les trous noirs. elle s’en irait imprudemment trop près des soleils, et deviendrait toute desséchée. elle serait en quête perpétuelle d’une eau dont trop vite elle aurait été privée avant de pouvoir détecter ses propres sources. Mais combien vous avez peur qu’on échoue ! et peut-être que vous échouez… et vous nous fournissez plein de suppléments vitaminiques, comme si vous pensiez que nous étions incapables de la rendre suffisamment belle. Après l’école, et quelquefois avant celle-ci, y compris durant nos jours de vacances, vous insérez des tas d’activités parce que, ditesvous, la vie est tellement compétitive ! Permettez-moi de vous dire que pour des gens qui quand même défendent parfois avec beaucoup d’énergie, le principe des 35 heures, vous nous offrez des heures complémentaires qu’un syndicat d’enfants pourrait sans doute contester. Je n’insiste pas là-dessus, vous aurez certainement l’occasion d’en discuter entre vous, y compris sur nos petits dérapages, nos petits aléas teintés d’agitation, de retrait ou d’opposition, qui quand même, je vous le rappelle, ne sont pas nécessairement des symptômes à traiter. Ce sont des efforts maladroits d’ajustements. Voilà, j’ai fini de vous confier ce que je souhaitais de vous dire, je fais mes excuses au conférencier puisque je ne l’ai pas laissé beaucoup parlé, mais je crois qu’il était d’accord pour que je m’exprime avec mon cœur. oh quand même… le titre c’était « Tout n’est pas joué avant 6 ans ». si tout était joué, vous ne seriez pas brillants! Parce que quand même, vous avez plus que 6 ans, alors il doit quand même se passer des choses après. Je sais que les battements cardiaques rejoignent un peu les miens, à bientôt, et merci de m’avoir écouté aussi sagement. 02 PANEL Animé par stéphan BUReAU et composé de Christine ColIN, Bernard Golse, Michel LEMAY, Michel MANCIAUX et Anna TARDos Ce qui a rassemblé les participants et les conférenciers en cette journée de symposium s’apparente fort à de l’empathie ; tous ont souligné le respect mutuel et l’atmosphère qui ont entouré ces premiers moments de partage. Ils ont mentionné, à leur manière et en regard de leurs expertises respectives, à quel point il est important de s’accorder des moments comme ceux-ci, qui permettent de se rencontrer et de croiser les opinions, les points de vue, les regards. Profitant de ce moment de mise au point, de mise en commun et de rendez-vous d’idées, les cinq panellistes ont donc polarisé la discussion autour de réflexions multiples entourant un même objet : l’enfant. Entre science et humanisme la communauté scientifique connaît un défi pour les années à venir : trouver un équilibre entre la science et la pratique, entre la théorie et le terrain, au même titre que la recherche d’équilibre entre la technologie et l’humanisme. Bien sûr fautil demeurer très attentif à ces questions, mais dans la vie relationnelle ou politique, un certain décalage se fait sentir. Collectivement, un important travail reste à réaliser, il faut savoir se lever à la hauteur de nos enfants. l’enjeu de la technologie, qui change si vite, impose de travailler sur les « essentiels » qui eux, sont invariables. la mouvance sociétale, si rapide, se traduit en terme technologique, mais également en terme de typologies familiales. la famille n’est plus immuable ; elle revêt des formes et des allures si différentes ; reconfiguré, le concept de famille s’est 22 ACTES DU SYMPOSIUM ET COLLOQUE INTERNATIONAL 2012

beaucoup développé. Mais est-ce que les enfants sont différents ? l’approche face à nos enfants sera-t-elle modulée par un contexte familial différent ? on sait que s’occuper des enfants, qu’on soit parent ou professionnel est un enjeu considérable. Toutefois, on a beaucoup dit que de s’occuper des enfants des autres est une chose très facile, alors que cela n’a rien à voir avec le fait de s’occuper de ses propres enfants. l’enfant étant très dépendant, comment apporte-t-on le soin nécessaire, sans « boucher » l’image parentale ? Il s’agit d’une question qui est au cœur même de la professionnalisation des soins. Génétiquement parlant, le bébé humain est le seul qui ne construit pas son cerveau au complet in utero. Tous les autres animaux quand ils naissent ont un cerveau presque complété. Ils peuvent presque tout faire, seuls. Déjà Freud constatait que dans l’espèce humaine, la grossesse est plus courte comme s’il manquait un quatrième trimestre de gestation. la dépendance de l’enfant est un très grand risque et impose qu’on s’occupe de lui, sinon il meurt, mais la chance évolutive est que cela donne une ouverture, une diversité ; le cerveau se développe à l’air libre, dans sa rencontre avec l’autre, avec son travail psychique. Chaque enfant rencontre un environnement différent qui s’inscrira profondément dans l’organisation cérébrale même du bébé. Dans une trentaine d’années, il sera certes très intéressant de voir par exemple l’impact de la « gestation pour autrui » sur l’organisation psychique des enfants nés de cette technique REGARDS CROISÉS sur la petite enfance de fécondation. on sait que dans leur développement, les enfants se mettent un jour à rêver que leurs parents ne sont pas vraiment leurs parents. Que leur véritable père est toutpuissant et merveilleux. Cette fantaisie refoulée porte surtout sur le père, mais un jour, la technologie aura produit une image très diffractée de la mère. la mère porteuse, la mère biologique et la mère désirante coexisteront, et l’on aura affaire à une tout autre réalité. Bien sûr aujourd’hui, nous sommes déjà dans la période de transition. Par exemple, nous devons parler de « milieux d’accueil différents » en ce qui a trait aux types de familles, qu’elles soient recomposées, homoparentales, monoparentales volontaires, etc. Nous n’avons pas suffisamment de recul pour voir ce qui va ou peut devenir pathogène et ce qui va créer des modèles adaptatifs. Par rapport à la question de l’adoption, par ailleurs, l’Institut Pikler a beaucoup d’expérience. l’adoption peut être une solution finale, mais l’enfant et les familles doivent être accompagnés dans cette démarche. Un autre questionnement, concernant l’image et l’adaptabilité des enfants par rapport à la différence parentale, relève du fait que les CPe et les écoles sont principalement des milieux féminins ; la représentation sexuée des adultes a été réfléchie, entre autres, par le pédopsychiatre et psychanalyste Didier ouzel. Il en a conclu que dans les familles, ou dans les équipes de travail, qui ont su trouver le moyen d’équilibrer les composantes, l’enfant se servira de cet équilibre pour sa propre croissance et sa maturation psychique. Dans une équipe purement féminine, l’important est de donner les moyens pour équilibrer les composantes ; c’est ce qui a été effectué à lóczy, où les limites et la hiérarchie sont respectées. D’ailleurs, il est surprenant de constater que dans les pouponnières, parmi les dix premiers mots prononcés par les bébés, le mot « homme » y figure toujours, même s’il n’y en a pas parmi les éducatrices. Un bon milieu d’accueil pour soutenir les enfants Dans un monde bigarré et diversifié comme le nôtre, où la différence est omniprésente, éviter les jugements devient une mesure à adopter. À cet effet, un bon service de garde peut faire beaucoup, en bien soutenant les parents. Dire d’une mère qu’elle est bonne ou non, non seulement blesse les parents, mais traduit un manque de confiance envers eux. Trop souvent, les professionnelles de la santé, des services sociaux ou d’autres réseaux, sont consternées par des situations 23

SYMPOSIUM familiales. Plutôt que de développer de l’empathie, bien des préjugés apparaissent et, devons-nous le répéter, ils sont très dommageables. Même si elles sont très souvent masquées par la lourdeur du quotidien, les compétences des parents doivent être respectées. Une professionnelle qui n’entretient pas de bons liens avec le parent ne pourra pas entretenir de bons liens avec l’enfant, puisqu’elle verra toujours le mauvais parent à travers l’enfant. et pourtant, l’enfant doit se sentir à l’aise, il doit profiter de sa rencontre avec une nouvelle personne, il doit développer une amitié avec l’éducatrice. le lien est important pour l’enfant ; il doit être vu, il doit avoir le sentiment d’être accepté. C’est un art que de s’occuper des enfants des autres dans l’amour professionnel et le plaisir. Tout en restant dans le cadre professionnel, la relation doit être chaleureuse. Moment intime et chaleureux, la relation est tout aussi importante pour l’adulte, pour l’éducatrice. Pour y arriver, le milieu de travail doit fournir toute l’aide nécessaire, afin que puisse être atteinte la qualité de soin souhaitée : le soutien, l’accompagnement sont des enjeux pour l’adulte et la formation devient alors un élément essentiel pour y parvenir. elle permet aux intervenants d’apprendre à décoder les comportements et à accompagner les familles. l’aide de l’équipe est aussi essentielle. Face aux familles démunies, la tendance est soit de baisser les bras soit de faire toujours plus, avec un risque réel de craquer. le rôle de l’équipe permet de s’entraider, de s’aider, de se soutenir. Ce sont des ingrédients qui peuvent être bien intégrés dans les organisations. Toutefois, ils ne permettent pas d’atteindre les objectifs visés s’il n’y a pas, en plus, le plaisir et l’amour. sans amour, on ne peut pas être avec les enfants. Il est possible que l’éducatrice se sente débordée, mais elle doit vouloir rester avec les enfants. si elle perd le plaisir, si la joie profonde d’être avec les enfants disparaît, même si tous ses gestes sont maîtrisés, si elle est polie, même si elle travaille comme avant, les enfants le sentiront immédiatement et ne seront pas bien ; les enfants sentent ces choses bien plus tôt que les adultes. Devant le travail de l’éducatrice, les parents sont quelquefois découragés. Mais le parent ne doit pas imiter l’éducatrice, et vice versa. le lieu d’accueil permet de proposer une tranquillité, presque thérapeutique, mais il n’est pas réaliste de demander la même chose aux familles ; la vie de famille est beaucoup plus complexe que la vie en institution. Il ne faut pas attendre des parents qu’ils suivent la façon de faire de l’établissement. Il est possible qu’elle adopte quelques gestes, mis on ne doit pas mêler les deux fonctions : 24 « la mère doit être assez bonne, c’est déjà beaucoup. Mais pour la professionnelle, c’est mieux d’être parfaite. » - Anna Tardos L’être humain se construit dans la complexité les quelques décennies qui ont suivi la seconde Guerre mondiale ont vu s’accomplir plus de progrès en matière de pédiatrie qu’en ont vu tous les millénaires qui l’ont précédée. on en sait beaucoup plus qu’avant ; le travail des pédiatres qui permet aux enfants de mieux naître, physiquement, a fait un bond immense. Mais, nous avons encore beaucoup à faire pour les faire mieux naître psychiquement. Pour y parvenir et mettre en œuvre nos connaissances, de nombreux obstacles nous gênent : des obstacles politiques, économiques ou idéologiques, et même des obstacles intérieurs. en effet, par moment, l’enfant nous entraîne dans des sentiments ambivalents, car oui, quelquefois, l’enfant nous irrite. Il faut accepter ces sentiments contradictoires, tout en sachant vers quoi il nous entraîne. Il ne s’agit pas ici d’aimer et de ne pas aimer en alternance; il s’agit de ne pas aimer et d’aimer en même temps. Aux prises avec cette ambivalence, ce tiraillement de deux mouvements contradictoires, il n’est pas rare que les parents puissent se sentir coupables. la plus grande ambivalence toutefois est portée dans deux phrases qui ont chacune leur valeur propre : « l’enfant ne peut attendre, son nom est aujourd’hui » - Gabriela Mistral « le temps méprise ce que l’on fait sans lui » - Paul Morand les deux sont vraies, tout en étant contradictoires ; il faut savoir moduler le temps et l’adapter au rythme de la vie. les professionnels doivent modeler le suivi des enfants dans la durée, en s’assurant que les bilans aient des intervalles suffisants entre eux pour permettre les changements, mais ils ne doivent pas trop attendre, car l’enfant quelquefois a besoin d’interventions urgentes. Il existe d’ailleurs un déséquilibre flagrant entre le développement technologique et le développement spirituel : la technologie exige toujours une plus grande rapidité, alors qu’on doit prendre le temps d’écouter les enfants. Il n’est pas plus long de regarder les enfants et de les écouter nous parler, mais on accorde ainsi une réelle importance à l’enfant. l’adulte ne doit-il pas lui donner l’exemple pour qu’il puisse reproduire ACTES DU SYMPOSIUM ET COLLOQUE INTERNATIONAL 2012

cette volonté de prendre le temps ? Chaque adulte doit savoir qu’il a un impact sur l’enfant, et doit se sentir responsable de ce qu’il transmet comme message. Ce « temps à prendre » est un incontournable et ce sujet soulève bien des inquiétudes. Il est important, nécessaire, de laisser les enfants prendre le temps ; on attend souvent des résultats rapides, alors que tragiquement, à cause de cela, on met nos enfants en position d’échec. Déjà le parent n’a pas souvent l’occasion ou la capacité de prendre le temps. Notre société impose la vitesse, on inscrit les enfants à un nombre incalculable de cours et d’activités. Ils sont bousculés, n’ont plus le temps de faire leurs propres découvertes par le jeu. Investir en prévention constitue également un bel exemple de respect du temps : investir dans des projets, dans l’accompagnement ; est-ce réaliste de consacrer davantage de temps aux enfants, aujourd’hui ? on dit qu’un dollar investi sauve 5 $ en éventuelles interventions, mais est-ce un calcul que les fonctionnaires peuvent faire ? Quand on mène ce genre d’études, on regarde les gains éventuels, en diminution de l’utilisation aux services de santé, diminution du taux de décrochage et d’absentéisme des parents, etc. Il est clair qu’actuellement on sous-estime la réalité, investir à long terme est rentable au plan économique autant qu’au plan sociétal. les programmes actuels accompagnent les parents dans leur démarche, agissent sur l’environnement grâce à la coordination de ressources locales. Ces programmes sont efficaces à court terme pour le développement de l’enfant, et à long terme, sur la santé du jeune adulte que sera l’enfant. Il faut donc réunir les conditions qui permettront la création et le développement de politiques favorables à l’enfance. Toutes les activités mises en place auprès et autour des enfants et des parents sont essentielles, mais ne sont valables que si la société est d’accord. Actuellement, dans notre société, on n’a malheureusement pas l’impression que ces orientations sont les bienvenues, les décisions politiques n’y sont pas. Les mots pour le dire on n’a pas beaucoup de mots en français pour bien décrire la relation entre l’éducatrice et l’enfant : le plaisir, l’amour professionnel, l’attachement, l’intérêt en sont tous, un peu. la question du toucher doit également être réfléchie, mais avec prudence, finesse et sans précipitation, car elle reste très délicate. D’abord, pour structurer un enfant, on ne doit pas REGARDS CROISÉS sur la petite enfance toucher le corps pour l’exciter ou pour le détruire. Myriam David avait repris la question du toucher dans l’une des dernières entrevues accordées ; ce toucher est un toucher « pour être ensemble », marque d’un infini respect de la juste distance qu’il doit y avoir entre une professionnelle et un enfant. Il est toutefois intéressant de souligner que l’agressivité physique se transmet aussi par le toucher, et que la façon de toucher joue donc un rôle prépondérant dans toute cette réflexion. Et la télévision ? Étrangement, il y a de moins en moins d’enfants, mais on a toujours moins de temps ! en outre, on ne peut pas passer sous silence le lien qui se crée entre la question du temps et la technologie. les recherches se rejoignent dans ces domaines ; on passe de l’acte à la pensée par un processus complexe. la vie psychique ne peut se développer qu’à partir d’un manque ; pourtant, par réflexe, crainte ou peurs multiples, on s’assure pour combler les manques de bombarder les enfants et même les toutpetits avec des stimuli sensoriels sans limites : la télévision. elle occupe toute la place et actuellement, même les bébés sont placés devant la télévision pendant des heures. les cliniciens constatent une augmentation du nombre d’enfants dits hyperactifs, et une augmentation des enfants qui ont d’étranges troubles de la modulation sensorielle. sans être des autistes, ils éprouvent des difficultés à associer et à donner un sens aux stimulations sensorielles dont on les bombarde. Il faut impérativement renverser la vapeur et faire comprendre que le manque et le silence sont aussi nécessaires au développement. Comment y parvenir ? en créant des espaces qui permettent le jeu et qui ouvrent à la culture. 25

SYMPOSIUM Pourtant, malgré notre « manque de temps » chronique, le temps passé devant un écran continue à augmenter. Devenu un véritable problème, cette situation est vivement et de plus en plus dénoncée : le temps passé devant un écran augmente en même temps que le taux d’obésité et que les coûts humains et sociaux. la santé publique évalue actuellement l’impact négatif du bombardement sensoriel provoqué par ce temps – écran, et surtout chez les tout-petits, et d’ici peu, une recommandation devrait être déposée selon laquelle un enfant de moins d’un an ne devrait être exposé à aucun écran. les données concernant les enfants entre un et deux ans ne sont pas encore connues, mais pour les enfants qui ont entre 2 et 5 ans la recommandation est de ne pas dépasser une heure par jour. Il a clairement été établi par la santé publique que les effets sont plus dommageables que ce qu’on pense. Du temps pour l’adulte, du temps pour l’équipe Temps qu’on laisse à l’enfant : pour donner ce temps, même si c’est plus difficile, ne faut-il pas donner du temps aux adultes éducateurs pour réfléchir aux manières de donner du temps aux enfants ? en milieu d’accueil, comme dans toutes les institutions, le temps d’élaboration est très important. sans être excessif, il reste crucial. Malheureusement, alors qu’ils sont essentiels, ce sont toujours ces temps qui sont retirés, en période de restrictions économiques. Il s’agit d’un temps non contrôlable ; personne ne peut dire « Il faut qu’on règle ça en 10 minutes », puisque les temps d’élaboration ne sont pas des temps de logique déductive ou des temps quantifiables. Mais encore faut-il qu’elles soient faites avec professionnalisme : il y a souvent lors des réunions d’équipe d’inutiles et stériles « monologues juxtaposés ». Parler des ressentis, avec empathie et émotion à partir d’un enfant précis, se sentir accueillie par un « contenant d’équipe », c’est là que la réunion peut avoir une très grande valeur. le « temps d’association de pensées » dans une équipe doit être revendiqué comme une mesure immuable, malgré sa difficulté de financement. Il appartient à la profession de réfléchir, mais aussi d’écrire. Il faut prendre le temps d’écrire pour pouvoir observer, pour pouvoir vraiment voir tous les enfants ; écrire tous les jours dans un cahier, plus que noter simplement ce qu’il a mangé et à quoi il a joué, mais écrire concrètement tout ce qui est observé, noter chaque élément qui traduit le développement de l’enfant. D’ailleurs, l’éducatrice qui observe est plus « présente » aux enfants. Ainsi, donner du temps relève d’une 26 ACTES DU SYMPOSIUM ET COLLOQUE INTERNATIONAL 2012 volonté administrative, puisque le travail avec les enfants n’est pas seulement du temps passé avec les enfants, mais inclut toute la préparation et la réflexion. l’utilisation du cahier de bord doit être naturelle et systématique ; il permet de poser des questions sur un moment de la journée, sur le développement, sur le contenu des jeux. Il doit être vu comme acte professionnel continuel, à maintenir, car les enfants changent. Certaines conditions doivent être respectées pour que la vie d’équipe se développe ; c’est le cas de l’accueil des collègues, que celles-ci exercent ou non la même profession. Ainsi, l’équipe réfléchira ensemble, accueillera les avis et se posera des questions, cherchant ensemble des solutions lorsqu’un problème se pose. Une des tendances générales et culturelles actuelles est d’accorder une priorité permanente à l’information ponctuelle, mais jamais à la parole comme récit. Pourtant, pour permettre au bébé de se construire comme bébé, on doit l’aider à construire son identité narrative. Un jour, il pourra raconter son histoire et se la raconter lui-même. l’identité narrative se construit uniquement si l’on rencontre des gens qui sont eux-mêmes dans la narrativité, comme c’est le cas à lóczy où le journal des enfants est lu avec plaisir, travaillé avec plaisir. C’est ça qui permet la construction de l’identité. Dans les métiers de la petite enfance, il est un besoin de développer et de sauvegarder l’ouverture à l’inattendu. les professionnels doivent rester ouverts face à ce qui n’était attendu ni de la part des familles, ni des patients, ni des interlocuteurs, ni de la clientèle, ni d’autres professionnels ! Il faut laisser une ouverture immense à ce qui combat les préjugés, il faut construire avec ce qui nous étonne.

COLLOQUE | CONFÉRENCE D’OUVERTURE 03 L’ENFANT, UN MONDE À RE-CONNAÎTRE Charles e. CAoUeTTe Professeur honoraire • Québec Re-CoNNAÎTRe l’enfant, c’est aussi éprouver de la reconnaissance à son endroit. C’est dire à chaque enfant dans vos CPe, ici au Québec et à travers le monde : « Merci d’être là ! Aidenous à être dignes de toi, à la hauteur de ton potentiel, à la hauteur de ton goût de vivre, de ton goût de te développer et de devenir l’Être humain unique et irremplaçable que tu es. » la garderie à l’université), on ne peut agir à l’encontre de ses principes et de ses valeurs, on ne peut le faire sans porter atteinte à sa propre joie de vivre et à sa propre santé mentale. Il y a toujours un prix énorme à payer lorsqu’on essaie de se mentir à soi-même. Vous le savez, les enfants ne s’y trompent pas ; ils savent aussi nous Re-CoNNAÎTRe. Le monde de l’enfant à re-connaître C’est en 1959, il y a donc plus de 50 ans, que l’oNU a adopté la Déclaration des droits de l’enfant où il est clairement écrit que « l’Humanité se doit de donner à l’enfant le meilleur d’elle-même ». où en sommes-nous aujourd’hui ? Avons-nous progressé ou régressé ? sommes-nous en train de tromper l’enfant, de dénier ses droits, alors que nous sommes en train de le « sculpter », de le « formater », de l’organiser à notre goût, selon les attentes des parents et des exigences (aléatoires) des administrations scolaires et sociales ? les besoins fondamentaux de l’enfant n’ont pas tellement changé, mais il est devenu plus difficile et plus urgent de répondre à ces besoins, d’assurer une plus grande concertation et une meilleure collaboration entre les éducatrices et les parents. Ce que j’ai pu observer au cours des dernières années, c’est que ceux et celles qui avaient fait de vrais changements dans leurs interventions auprès des enfants et dans la qualité de leur présence sont précisément ceux et celles qui avaient fait des changements dans leur propre vie, ceux et celles qui avaient appris à mieux respecter leurs propres besoins, ceux et celles qui avaient appris à mieux se ressourcer au plan personnel et professionnel et, enfin, à s’accorder le temps nécessaire de silence, de repos, de méditation et de cheminement vers une plus grande cohérence et vers la transcendance. Je crois qu’il est déjà clair pour chacune d’entre vous que, dans quelque domaine ou quelque institution que ce soit (de 28 les besoins de l’enfant demeurent fondamentalement les mêmes, soit : - être aimé et le ressentir ; - être respecté et le ressentir. l’enfant ressent souvent diverses peurs, notamment celles d’être bousculé, de devoir toujours progresser, d’être suralimenté et « surstimulé »… Comment garderai-je ma soif d’apprendre à mon rythme et à ma manière ? C’est à travers son ressenti que l’enfant perçoit émotivement s’il est réellement aimé et respecté, s’il est aidé à vivre sa propre enfance et aidé à se développer comme enfant. Mais l’enfant ne s’y trompe pas : à travers nos discours emberlificotés et l’incohérence de nos interventions, l’enfant sait, lui aussi, nous re-connaître… Vous n’aurez point pour moi de langage secret J’entendrai des regards que vous croirez muets. Jean Racine ACTES DU SYMPOSIUM ET COLLOQUE INTERNATIONAL 2012

Le monde autour de l’enfant PARABOLE DE L’AQUARIUM Il m’est arrivé un jour d’être tout seul, en silence devant un immense et très bel aquarium plein de poissons rouges. À un moment donné, hypnotisé, je me suis mis à parler aux poissons et leur ai demandé ce qui les rendrait totalement heureux. le premier a répondu : « Moi, c’est la nourriture… Je suis fatigué de manger toujours la même chose; il me semble qu’il doit rester encore quelques insectes, quelques beaux vers dans la vie ». l’autre, un peu poète, me dit : « Moi ce qui me fatigue, ce sont les fameuses plantes vertes qui bougent tout le temps, qui n’ont pas l’air vraies, qui deviennent laides et visqueuses ». Un troisième me dit : « Qu’on ait un petit enclos, une petite cours de récréation, pour y mettre les petits énervés qui s’agitent trop. Il faudrait qu’on puisse les isoler un peu, qu’on puisse au moins faire des siestes. on dirait que ces jeunes n’ont jamais eu ni parents ni grands-parents, il faudrait peut-être les mettre au Ritalin ? » Un autre, bel adolescent, a proposé qu’on ajoute des vitamines dans l’eau pour qu’il devienne plus fort, plus musclé, plus séduisant. J’ai demandé pourquoi aucun n’avait dit que ce qui le rendrait totalement heureux, ce serait de se retrouver à la mer des Caraïbes, d’où ils viennent tous, directement ou indirectement. Ils ont répondu : « Non mais, es-tu malade ? Qui va nous nourrir, nous protéger des prédateurs, qui va fermer les lumières le soir ? » J’ai alors compris la morale de cette histoire : À force d’avoir la tête dans l’aquarium, on finit par avoir l’aquarium dans la tête. Il ne m’a pas fallu beaucoup de temps pour reconnaître que présentement, nous vivons tous dans un « aquarium ». Cet aquarium, c’est le paradigme industriel, avec son économisme dominant, son capitalisme sauvage. L’ENFANT un monde à RE-CONNAÎTRE Il est prioritaire et urgent que, comme éducatrices et éducateurs des jeunes enfants, nous nous engagions activement et participions à ce mouvement de fond pour que, progressivement, nous fassions participer les enfants, dès leur bas âge, à l’émergence de valeurs nouvelles, à l’émergence d’une nouvelle manière de vivre ensemble, dans les valeurs de respect, de partage et de convivialité. 29 et c’est totalement en fonction de ce paradigme que nous concevons le sens de la vie et, pire, le sens de l’éducation, l’éducation de cet enfant que nous cherchons pourtant à respecter. À l’image de cet aquarium dans lequel nous plongeons la tête, nous sommes déformés et aveuglés par le paradigme industriel dans lequel nous avons été éduqués et « formatés » à éduquer, comme en témoignent nos préoccupations de performance, notre recherche de l’excellence à tout prix, avec ses effets néfastes sur la santé et la joie de vivre. Mais il y a de plus en plus d’éclaircies. Il y a des signes évidents qu’une transformation est en train de s’opérer à travers le monde et j’ajoute, sans hésitation, qu’une transformation majeure est aussi en train de s’opérer ici même au Québec. serons-nous de ceux qui collaborent à créer ces changements ou de ceux qui le ralentissent parce qu’ils en ont peur ?

COLLOQUE Il est prioritaire et urgent surtout que nous cessions de « déformer » les enfants dans le sens de l’individualisme, de la compétition, de l’intolérance et de la violence du paradigme industriel et du capitalisme sauvage. Comme des dominos qui décident de se relever, nous devons contribuer activement au changement de civilisation soIRÉ e D’oUV e RTUR e Animée par le comédien sylvain MAssÉ auquel nous sommes conviés et, à la manière des bâtisseurs de cathédrales, bâtir ensemble, pour nous et pour tous les jeunes enfants qui commencent leur vie, une nouvelle société plus saine, plus joyeuse et conviviale. Par le chant et les rythmes corporels, les participants et de nombreux conférenciers vivent à l’unisson un moment de qualité avec sAMAJAM. 30 ACTES DU SYMPOSIUM ET COLLOQUE INTERNATIONAL 2012

04 DES SENS AU SENS Le travail de la polysensorialité Bernard Golse Pédopsychiatre et psychanalyste • France l’importance de la sensorialité dans le champ de la construction du sujet n’est plus à démontrer actuellement, et il y a même là un domaine de dialogue, enfin possible, entre la psychanalyse et les neurosciences. exister comme une personne (devenir quelqu’un). Nous savons mieux, aujourd’hui, à quel point les émotions et la polysensorialité du bébé se trouvent en position centrale dans l’étude des interactions précoces dont le dialogue tonique, ou tonicoémotionnel, s’avère désormais un élément essentiel, et la question de la synchronie polysensorielle se trouve aujourd’hui au cœur de toutes les réflexions sur les interactions précoces (A. Ciccone). La comodalisation des flux sensoriels selon le point de vue cognitif en français, nous avons la chance de disposer du même signifiant pour les deux signifiés différents que sont les organes de la sensorialité (les sens) et la signification (le sens), ce qui montre à quel point l’accès au sens, ou le chemin des connaissances, dépend fondamentalement de la sensitivité et de la sensorialité, et c’est tout l’intérêt de faire, ainsi, un lien entre la dynamique du développement psychique et cette convergence linguistique particulière. Dans son travail sur le « Moi-Peau », Didier Anzieu avait, en son temps, beaucoup insisté sur le fait que, selon lui, la réflexivité de la pensée s’enracinait dans la réflexivité de la sensorialité, et en particulier dans celle de la peau qui précède, probablement, toutes les autres : dès que l’on touche, on est touché par ce que l’on touche, et c’est seulement dans un temps second que ce couplage entre la position active (toucher) et la position passive (être touché) s’organisera au niveau des autres sensorialités (voir / se voir, entendre / s’entendre, sentir / se sentir, goûter / se goûter). Des sens au sens, il y a ainsi tout un chemin qui ouvre sur la construction de la réflexivité psychique, laquelle se trouve au cœur même des processus de subjectivation, soit des processus qui permettent au bébé, une fois né, de se sentir L’ENFANT un monde à RE-CONNAÎTRE Un certain nombre de travaux de type cognitif (A. streri) nous apprennent aujourd’hui que l’articulation des différents flux sensoriels issus de l’objet est nécessaire pour que le sujet puisse prendre conscience du fait que l’objet concerné lui est bien extérieur. Autrement dit, aucun objet ne peut, en effet, être ressenti comme extérieur à soi-même, tant qu’il n’est pas appréhendé simultanément par au moins deux modalités sensorielles, ce qui met nettement l’accent sur l’importance de la comodalisation comme agent central de l’accès à l’intersubjectivité. Il nous semble qu’à leur manière, les cognitivistes rejoignent, là, une position psychodynamique classique selon laquelle la découverte de l’objet est fondamentalement coextensive de la découverte du sujet, et réciproquement dit, même si les travaux cognitivistes font, en réalité, le plus souvent référence à une intersubjectivité primaire d’emblée efficiente chez le bébé. en effet, repérer l’objet comme extérieur à soi-même suppose, dans le même mouvement, de reconnaître le soi comme l’agent des perceptions en jeu et pas seulement comme l’agent des actions produites (processus d’agentivité). Le vécu d’extériorité de l’objet : une convergence entre psychanalyse et cognition Vivre l’objet comme extérieur à soi-même, soit le vivre en extériorité, suppose donc, bien évidemment, l’accès à l’intersubjectivité, et l’élaboration du deuil de l’objet primaire qui sous-tend le processus de différenciation extrapsychique. D’un point de vue psychodynamique, cette possibilité de vivre l’objet en extériorité se trouve éclairée par les concepts de mantèlement et de démantèlement (D. Meltzer), tandis que d’un point de vue cognitiviste, c’est le processus de comodalisation des flux sensoriels émanant de l’objet qui se trouve au premier plan des réflexions. Il y a donc, là, à propos de l’articulation des flux sensoriels, une certaine convergence à signaler entre les deux approches, psychodynamique et cognitive. Cette convergence entre les deux types d’approche, 31

COLLOQUE psychodynamique et cognitive, est suffisamment rare pour qu’on prenne la peine de la souligner et de considérer qu’elle témoigne, probablement, du fait que ces concepts de mantèlement ou de comodalisation représentent deux approches complémentaires d’un seul et même phénomène développemental, appréhendable selon différents vertex. Ceci étant, on peut faire l’hypothèse d’un équilibre nécessaire entre d’une part le couple dialectique mantèlement / démantèlement (mécanisme intersensoriel) et le phénomène de segmentation des sensations (mécanisme intrasensoriel), étant entendu qu’il n’y a pas de perception possible sans une mise en rythme des différents flux sensoriels. Ce travail de comodalisation perceptive ne peut se faire, en effet, que si les différents flux sensoriels s’avèrent mis en rythmes compatibles, et si ce travail de comodalisation s’effectue, comme on le pense aujourd’hui, au niveau du sillon temporal supérieur, alors s’ouvre une piste de travail passionnante, dans la mesure où cette zone cérébrale se trouve également être la zone de la reconnaissance du visage de l’autre (et des émotions qui l’animent), de l’analyse des mouvements de l’autre et de la perception de la qualité humaine de la voix. la voix de la mère, le visage de la mère, le holding de la mère apparaissent désormais comme des facteurs fondamentaux de la facilitation de, ou au contraire de l’entrave à, la comodalité perceptive du bébé, et donc de son accès à l’intersubjectivité. Ceci nous montre que les processus de subjectivation se jouent fondamentalement, au niveau des interactions précoces, comme une coproduction de la mère et du bébé, coproduction qui doit tenir compte à la fois de l’équipement cérébral de l’enfant, de ses capacités sensorielles, et de la vie fantasmatique inconsciente de l’adulte qui rend performants, ou non, ces divers facilitateurs de la comodalité perceptive. Eléments bibliographiques appelés dans le texte ANZIeU, Didier. Le Moi-peau, 2e 1995, 304 pages. CICCoNe, Albert et Alberto KoNICHeCKIs. La vie psychique du bébé, coll. Inconscient et Culture, Paris, Dunod, 2012, 288 pages. MelTZeR, Donald. Explorations dans le monde de l’autisme, coll. Bibliothèque scientifique, Paris, Payot, 1980, 320 pages. sTeRI, Arlette. « la naissance : un état particulier », Le développement du nourrisson, sous la direction de Roger lécuyer, coll. Psycho sup, Paris, Dunod, 2004, 544 pages. éd., coll. Psychismes, Paris, Dunod, 05 ACCUEILLIR L’ENFANT ÉTINCelle Conseil et formation en développement relationnel • France la conférence Accueillir l’enfant a été présentée par le truchement du théâtre-forum ; les participantes ont donc pu prendre une part active à la démarche. Accueillir l’enfant dans un espace collectif et public lui offre une possible opportunité d’élargir son espace de vie et d’exploration, sous réserve qu’il s’y sente en sécurité et accompagné. les enfants et leurs familles ressentent nécessairement des appréhensions dans cette « rencontre », particulièrement au moment de la séparation et des retrouvailles. Accueillir, c’est faire place à l’autre. Cela nécessite de la présence, de la disponibilité et de l’ouverture, mais également la capacité à poser des limites et à contenir des comportements pour que personne ne se sente envahi. l’intention d’accueillir est présente dans les structures d’accueil, mais peut rencontrer des difficultés de mise en œuvre et nécessite de développer ses compétences relationnelles, telles que : - - - la capacité à accueillir ses propres pensées, émotions et sensations pour répondre à ses propres besoins ; la capacité à exprimer ses valeurs et besoins et les règles qui en découlent. les mises en situation présentées ont abordé trois différents aspects de l’accueil, l’impulsion d’un enfant et le besoin du parent de savoir ce qui s’est passé pendant la journée. 32 ACTES DU SYMPOSIUM ET COLLOQUE INTERNATIONAL 2012 la capacité d’empathie pour accueillir sans jugement l’émotion de l’autre et sa vision du monde ;

la première scène présente un parent qui laisse son enfant à la crèche pour la première fois une journée complète. son inquiétude est contagieuse et participe à la difficulté de la séparation. Il a du mal à partir, il revient à plusieurs reprises, a peur d’avoir oublié de donner des consignes. la professionnelle ne sait pas comment accompagner cette séparation. la deuxième scène présente un enfant qui, à la vue du repas, a du mal à attendre et exprime son désir de manger sur l’instant. Comment accueillir son impulsion sans jugement tout en l’aidant à attendre ? la dernière scène évoque les retrouvailles du parent et de l’enfant en fin de journée. Comment accueillir le parent et que lui partager de ce que son enfant a vécu ? les situations jouées illustrent la problématique et la rendent vivante. l’animateur a invité les participantes au débat pour faire émerger les ressentis, les interprétations et les propositions de changement. Un spectateur est invité à remplacer un personnage pour tester son idée. la scène est rejouée. les spectateurs font part des changements qu’ils ont observés. D’autres idées émergent et enrichissent la réflexion, de nouvelles propositions sont jouées… Il ne s’agit pas de trouver la solution miracle qui règlerait tous les problèmes, mais de développer chez chacun la capacité créatrice de trouver la juste attitude dans une situation donnée, qui prenne en compte les besoins de chacun et apaise les tensions. importante : sommes-nous en lien avec la mission de l’entreprise ? Malheureusement, trop peu de gestionnaires connaissent vraiment la mission de l’entreprise pour laquelle ils œuvrent. elle est souvent un bout de phrase sur un morceau de papier et personne ne revendique plus d’actions en son nom. en raison de cet état, nous voyons des individus qui souffrent dans les organisations, des organisations elles-mêmes souffrantes et des clients insatisfaits qui restent parce qu’ils n’ont pas d’autres choix. l’entreprise se doit donc d’être un milieu d’échange, un échange entre l’entreprise et le client, avec ses besoins et sa réalité, un échange entre ses employés, leurs besoins et leur réalité. Travail délicat s’il en est un ; le devoir du gestionnaire consiste à créer ce lieu d’échange fédérateur et mobilisant. Un lieu où les actions alignées sur la satisfaction des besoins du client en lien avec le respect de la mission et l’actualisation des besoins à la fois organisationnels et motivationnels des employés. Cet outil puissant, ignoré de plusieurs gestionnaires, se doit donc d’être questionné, revisité et mis au goût du jour avec l’aide des intervenants du milieu. 06 POUR UNE GESTION AU SERVICE DE LA MISSION Michel BÉlANGeR Consultant • Québec la mission de l’entreprise est au cœur de sa vie, de sa raison d’être. Il importe donc à chaque gestionnaire, à chaque membre de l’équipe de la connaître, de la comprendre, de la faire vivre. Mais vous, connaissez-vous la mission de votre entreprise ? est-elle au cœur de vos actions, de vos décisions ? le premier acte de délégation de l’entreprise envers ses gestionnaires est la délégation de la mission. en effet, comme gestionnaire, je me dois de la faire vivre, de la véhiculer, de la comprendre et de la propager. Mon quotidien en tant que gestionnaire, consiste donc à me demander chaque jour, lors de chaque décision L’ENFANT un monde à RE-CONNAÎTRE Tous doivent y adhérer afin que les services offerts soient en lien avec lui. C’est par cette unification et par la compréhension commune de cette mission / vision, que nous pourrons offrir des services à la hauteur, voire supérieurs, aux attentes des clients. C’est pour cette raison que le gestionnaire ne devrait jamais hésiter à invoquer la mission. Rappel à l’ordre pour les fournisseurs, par les employés, même pour les clients. « Je ne peux agir ainsi, car ce n’est pas en lien avec notre mission » est une phrase légitime en milieu de travail. 33

COLLOQUE Notre responsabilité de gestionnaire tourne donc autour de la création d’un environnement mobilisateur, qui devient motivant pour les employés, car il est en lien avec une raison d’être, un sens que tous comprennent. De même, ma relation avec la clientèle s’en trouve simplifiée, car lorsque les clients lisent notre énoncé de mission, nos valeurs, la couleur que l’on veut donner à notre environnement, ils savent ce qu’ils « achètent » et sont rassurés par notre offre de service. Ainsi en est-il de nos partenaires qui comprennent notre place dans le processus d’accompagnement des enfants vers l’école. Cela leur permet de nous traiter en partenaires signifiants plutôt qu’en mal nécessaire. Faire vivre la mission ! Voilà donc le défi du gestionnaire mobilisateur et inspirant que vous devez être ! Bienvenue en pays de la gestion ! 07 OBSERVER UN ENFANT POUR MIEUX LE CONNAÎTRE Alain leBel Pédopsychiatre • Québec Le Québec a la chance d’avoir développé un réseau de centres de la petite enfance accessibles ainsi que l’accès à des congés de maternité/parentalité substantiels pour les nouvelles familles. Cela représente une avancée sociétale inestimable à condition qu’elle soit utilisée à bon escient. la réflexion de ce texte se fait à partir du cadre de l’observation du nourrisson selon la méthode d’esther Bick qui, dès 1948, a instauré une méthode d’observation en milieu naturel pour former les psychanalystes d’enfants et d’adultes (Gilbert, 2000). son cadre de travail en trois temps est simple, mais rigoureux : 1) il consiste à se rendre au domicile d’une famille qui vient d’avoir un bébé pour observer, sans intervenir, les interactions parents-enfant qui se mettent en place. l’observation hebdomadaire dure au moins un an. 2) Des notes précises et factuelles sont prises dès que possible après l’observation pour rendre compte du déroulement de celle-ci comme si nous pouvions la visualiser. 3) Ces notes sont ensuite discutées attentivement dans un petit groupe de travail. le développement de l’enfant et de ses relations est pris en compte de même que les ressentis de l’observateur au moment et à la suite de l’observation. les leaders du groupe de discussion cherchent à créer un espace réflexif qui facilite la mentalisation. 34 Ainsi, observer comporte deux facettes quasi simultanées : l’une est passive et consiste à recevoir et à absorber, l’autre se veut active, visant à rassembler et à mettre ensemble ces observations pour qu’elles prennent sens. Bion (1962) a proposé le terme de « fonction contenante » comme base d’émergence du monde psychique pour un enfant. Il entendait par là qu’un adulte compréhensif s’efforce de sortir l’enfant de l’état de confusion et cherche à créer du sens avec toutes les manifestations physiques, sensorielles et même physiologiques, transmises par un jeune enfant qui ne parle pas encore avec des mots, en lui répondant par des gestes appropriés, mais aussi par des paroles ajustées à ce qui a été perçu. Bick (1992, Houzel, 2010) a parlé de la nécessité de l’intériorisation d’une peau psychique, c’est-à-dire qu’à force de répétition prévisible, un pattern sécurisant est rendu possible par l’attention, la disponibilité et un état d’esprit réceptif aux états mentaux de l’enfant chez ses parents et son éducatrice. Une application de la méthode Bick peut être utile en garderie pour permettre de se familiariser rapidement avec l’aspect singulier de chaque enfant et de mieux le comprendre autant lors d’interactions ou dans les inévitables moments où il sera seul sans l’attention proximale de l’adulte. la position d’observateur a souvent pour effet d’améliorer les capacités à contenir les mouvements pulsionnels et à assouplir les capacités identificatoires avec l’enfant ou ses parents (lebel, 2008) et agit comme un puissant régulateur des émotions. Ces qualités seront d’autant plus utiles quand surviennent des difficultés avec l’enfant dans son groupe. les moments problématiques potentiels entre l’enfant et son éducatrice sont multiples : repas, siestes, changement de couche ou acquisition de la propreté, jusqu’aux temps où l’enfant joue seul librement, en groupe ou lors d’activités organisées. les transitions entre les activités sont aussi sources de tension. l’arrivée du matin ou les retrouvailles de fins de journée avec les parents sont aussi potentiellement conflictuelles. Durant les discussions de groupe, les thèmes abordés concernent souvent l’attachement sous différents angles. on sait aussi que chaque enfant possède le pouvoir de susciter en nous tantôt beaucoup de plaisir à constater ses bons coups, mais parfois de la frustration quand les mauvais coups reviennent à répétition. les parents provoquent aussi des sentiments chez les soignants, soit dans le constat d’un partage de valeurs similaires, mais aussi dans les écarts de ces mêmes valeurs. Il n’est par rare que le contretransfert alors suscité révèle, à travers les réactions intérieures face à tel ou tel enfant, des liens significatifs avec le problème sous-jacent. Au lieu de repousser ces sentiments perçus comme ACTES DU SYMPOSIUM ET COLLOQUE INTERNATIONAL 2012

perturbateurs, l’intervenant qui s’y attarde peut, au contraire, y trouver matière utile pour comprendre ou dénouer une situation (Jackson, 2005). Plusieurs autres considérations militent en faveur de l’observation : 1) Une des fonctions de l’observation est d’être un témoin. Nous savons que cela a des implications profondes au niveau existentiel ; être vu et se sentir regardé, avec bienveillance, constitue un fondement du sens de soi (Rhode, 2007). 2) l’observation suppose un travail utile sur les frontières interpersonnelles, une recherche de la bonne distance : assez loin pour voir une situation dans son ensemble et assez près pour demeurer impliqué émotionnellement et avec empathie dans celle-ci. 3) observer permet de développer la capacité d’attendre, de prendre le temps de percevoir et de laisser émerger les pensées de façon à d’abord reconnaître, puis partager des états mentaux (Monti & Crudeli, 2007). Pour y arriver, l’éducatrice doit avoir la possibilité de ne pas être trop préoccupée, mais curieuse et concentrée à observer, partager et contenir. 4) Ceux qui observent notent en général l’expansion de leurs capacités d’autoobservation et y trouvent un facteur de développement personnel. 5) Il est primordial d’être volontaire pour observer/être observé, car discuter en groupe suppose un degré d’exposition de soi. on ne peut forcer personne à le faire. Des raisons empêchent ou nuisent à l’observation : 1) Des craintes sont énoncées quant à un effet dommageable de l’observation, en étant trop intrusive, trop stimulante, voire en surdéveloppant le narcissisme de l’enfant ; pour certains, observer peut signifier « scruter », critiquer, mépriser en mettant l’emphase sur les erreurs ou les faiblesses. 2) la position d’observateur est difficile à maintenir, sous-tendue par une pression pour intervenir. 3) Ajoutons la difficulté à s’identifier et à mettre en mots ce que peut ressentir un jeune enfant. 4) Il existe une tendance naturelle à se protéger des émotions pénibles, qu’elles soient liées aux séparations, aux difficultés rencontrées par l’enfant ou à la rivalité entre enfants, entre les parents et l’éducatrice ou entre les éducatrices elles-mêmes. 5) les professionnelles peuvent avoir tendance à trop s’identifier à la position parentale, notamment quand elles sont elles-mêmes de jeunes parents. Mon expérience a montré que des discussions de groupe autour d’une observation incluant plusieurs éducatrices avaient un effet multiplicateur pourvu qu’un climat de confiance suffisant existe pour permettre d’ouvrir sur les ressentis indiviL’ENFANT un monde à RE-CONNAÎTRE duels sans être jugés. le groupe permet d’apporter plusieurs points de vue différents qui, s’ils sont bien contenus, peuvent aider à dédramatiser, sans banaliser, des situations complexes. les éducatrices se permettent souvent de référer à des situations difficiles pour elles aussi sans pour autant généraliser et en arriver trop rapidement aux conclusions. observer peut alors aussi servir de support mutuel entre éducatrices dans un moment difficile avec un enfant. Pour une organisation, un choix est à considérer quant à s’occuper ou non des impacts des émotions sur le travail en garderie. offrir un support au personnel pour digérer ces expériences affectives intenses génèrera un sentiment plus grand de gratification dans le travail et une valorisation de celui-ci. Au contraire, comme Hopkins (1988) le rapporte, un haut taux d’absentéisme des éducatrices et un roulement élevé de personnel seront des indicateurs d’épuisement des éducatrices en bonne partie relié aux conditions de travail non supportantes. en conclusion, le thème du congrès indique clairement la préoccupation pour le bien-être des enfants en garderie, y compris leur bien-être émotionnel. Il m’apparaît clairement que l’accueil, le soin ou l’observation des jeunes enfants dans des milieux de garde ne peuvent être considérés isolément. Ce que l’enfant y vit est indissociable de ce que les adultes seront en mesure de lui proposer pour établir avec chacun des relations plus personnalisées et plus profondes au plan affectif. les liens établis le seront à trois : l’enfant, ses parents et les éducatrices. Cette donnée incontournable ira donc de pair avec l’offre d’un support réflexif en compagnie des éducatrices pour bien souligner l’importance à accorder à la compréhension du monde émotionnel des enfants (elfer, 2010). Tout ne se joue pas avant six ans. Mais faisons que ce qui s’y joue le soit de mieux en mieux. 35

COLLOQUE BIBLIOGRAPHIE BICK, esther. « l’expérience de la peau dans les relations d’objet précoces », Les Écrits de Martha Harris et Esther Bick, coll. Tavistock Clinic, larmor-Plage, éditions du Hublot, 1998, 347 pages. BICK, esther. 1964. « Note on infant observation in psychoanalytic training », Int. J. Psychoanal., 45, p. 558-566. Traduction française par D. Alcorn (annotée par M. Haag). 1992. « Remarques sur l’observation des bébés dans la formation des analystes », Journal de la psychanalyse de l’enfant, 12, p. 14-35. BIoN, Wilfred Ruprecht. Aux sources de l’expérience, coll. Bibliothèque de psychanalyse, Paris, PUF, 1979, 144 pages. ELFER, Peter. « The power of psychoanalytic conceptions in understanding nurseries », International Journal of Infant Observation and its Applications, 13, 1, oxon, Routledge, 2010, pages 59 à 63. GIlBeRT, Monica. « esther Bick et l’observation psychanalytique du nourrisson : un héritage vivant », PRISME, 31, Montréal, éditions du CHU sainte-Justine, 2000, pages 66 à 73. HoPKINs, J. « Development of intimacy between nurses and infants », Early Child Development and Care. 33, 1988, pages 99 à111. HoUZel, Didier. « Infant observation and the receptive mind », International Journal of Infant Observation and its Applications, 13, 2, oxon, Routledge, 2010, pages 119 à 133. JACKsoN, emil. « Developing observation skills in school settings: The importance and the impact of “work discussion groups” for staff », International Journal of Infant Observation and its Applications, oxon, Routledge, 8, 1, 2005, pages 5 à 17. leBel, Alain. « Accroître la fonction contenante des psychothérapeutes par l’expérience de l’observation des nourrissons selon la méthode d’esther Bick », Filigrane, 17, 1, Montréal, Revue santé mentale au Québec, 2008, pages 105 à 120. MONTI, Fiorella et Fabiola CRUDELI, « The use of infant observation in nursery (0-3 years) », International Journal of Infant Observation and its Applications, 10, 1, oxon, Routledge, 2007, pages 51 à 58. RHoDe, Maria. « Infant observation as an early intervention », Signs of autism in infants, london, Karnac, 2007, pages 193 à 211. LA SAINE GESTION, PARLONS-EN ! SAINEGES TI ON.O RG 36 ACTES DU SYMPOSIUM ET COLLOQUE INTERNATIONAL 2012

08 COMME SI NOUS Y ÉTIONS REGGIO EMILIA, Dale GolDHABeR et Jeanne GolDHABeR Professeurs • États-Unis Tenter de définir une « éducation à la Reggio » n’est pas une tâche aisée. Il ne s’agit pas d’une méthode ni d’une quelconque procédure qui dictent le comportement d’un groupe scolaire, qui planifient les leçons, les apprentissages ou les évaluations. Certes, tout cela s’en inspire. Toutefois, l’éducation préscolaire inspirée de Reggio n’est pas synonyme d’une stratégie du laisser-faire, même si les intérêts des enfants constituent la pierre d’angle de leur expérience éducative. Cela ne devrait même pas s’appeler une méthode, étant à la fois plus et moins qu’une méthode. Cette perspective se définit par six facteurs. D’abord, le processus éducatif, à n’importe quel niveau, est incorporé dans un contexte social de co-construction. Par ce fait, il doit s’adapter aux intérêts et aux besoins de toutes les personnes impliquées, particulièrement des enfants, les parents et les enseignants. (smith, 2001). Deuxièmement, les enfants sont reconnus pour leur compétence plutôt que définis par leurs limites; un tel curriculum se doit ainsi d’être authentique, adaptable et construit à partir de cette compétence (Goldhaber & Goldhaber, 2000; Hull, Goldhaber & Capone, 2002). l’éducation préscolaire inspirée de Reggio aide les enseignants à voir le concept de curriculum comme une expérience émergente ou négociée impliquant autrui, plutôt que des activités ou des leçons préétablies, planifiées, définies par l’enseignant. Troisièmement, l’évaluation du progrès de l’enfant se réalise mieux si le résultat des démarches et des recherches effectuées par l’enfant est documenté ou analysé conjointement (Burrington & sortino, 2003; Gandini & Goldhaber, 2001; smith & Goldhaber, 2004). Quatrièmement, l’arrangement physique et temporel de la salle de classe constitue pour l’enfant un élément essentiel dans la définition de ses expériences éducatives. l’environnement doit être accessible et adaptable; l’horaire laisse aux enfants le temps nécessaire à ce qu’ils puissent s’investir intellectuellement dans leur travail. l’éducation préscolaire inspirée de Reggio, comme celle qui se pratique à Reggio emilia en Italie, devrait plutôt être décrite comme une « approche ». Il s’agit en effet d’une approche, en regard du curriculum conçu par les enseignants ; une approche, en regard de la manière dont les enseignants créent et re-créent l’environnement d’apprentissage ; une approche, si l’on considère l’exceptionnelle collaboration établie entre collègues, parents et enfants ; une approche, si l’on tient compte de la signification donnée par les enfants de leurs propres expériences pédagogiques et de la volonté des enseignants d’apprendre à connaître ces significations ; et finalement, une approche, car l’organisation de l’école elle-même en est imprégnée. en d’autres mots, l’éducation préscolaire inspirée de Reggio ne prescrit pas une façon de faire, mais offre une perspective par laquelle chacune de ces définitions peut être entrevue (Goldhaber & Goldhaber, 2007). L’ENFANT un monde à RE-CONNAÎTRE Cinquièmement, les enseignants autant que les chercheurs ou les dirigeants doivent venir constater par eux-mêmes se qui se fait dans la salle de classe, et d’autant plus, s’ils jouent auprès des enfants un rôle de direction pédagogique. Ils doivent s’engager intellectuellement, autant que leurs enfants (Goldhaber & smith, 2001). sixièmement, enfin, l’éducation préscolaire inspirée de Reggio soutient le principe que tous ces facteurs ont un poids équivalant dans la balance, et ce, à tous les niveaux de l’expérience pédagogique. 37

COLLOQUE 09 POUR AMORCER UNE RÉFLEXION... Michel MANCIAUX Pédiatre social • France le déterminisme est une doctrine laquelle philosophique le parcours existentiel d’un individu est suivant lié à et déterminé par la chaîne des événements antérieurs. Chaîne, enchaînement, tout est dit, et, curieusement le dictionnaire réfère le prédéterminisme au plan de Dieu, le confondant quelque peu avec la prédestination. Personnellement j’ai beaucoup appris du livre de Selma Fraiberg Fantômes dans la chambre d’enfants. Dès avant sa naissance, un enfant fait rêver, fantasmer ses proches pour le meilleur, mais aussi parfois pour le pire. sa venue remet à jour des secrets de famille, des drames parfois, des contentieux durables, et il est investi de responsabilités, de missions qui vont le poursuivre tout au long de son enfance. C’est particulièrement le cas dans quelques situations aux enjeux massifs : enfant de remplacements après la mort d’un aîné idéalisé et le prénom René (renatus) était souvent utilisé dans ce sens ; la version moderne en est la procréation qui suit rapidement, avant le deuil, le drame de la mort subite et inexpliquée d’un nourrisson. C’est aussi l’enfant thérapeute conçu pour fournir à un aîné malade des cellules souches ou autres éléments biologiques qui lui manquent ; l’enfant programmé pour réconcilier des parents en conflit. on réalise facilement la charge qui repose sur un bébé dès avant sa naissance : héritier innocent chargé de missions parfois impossibles et qui vont empoisonner son existence. De tels défis sont encore trop souvent posés à de jeunes enfants. et aussi enfances gâchées par des pronostics dévalorisants qui sont trop souvent des prophéties auto-réalisatrices. Que le déterminisme soit porté par l’origine sociale ou par une tare génétique, par des pratiques parentales douteuses, par 38 ACTES DU SYMPOSIUM ET COLLOQUE INTERNATIONAL 2012 l’échec scolaire… il est une maltraitance à l’enfant même s’il se pare souvent d’une aura scientifique. et soyons vigilants, nous qui pensons parfois, devant tel ou tel enfant, « avec les parents qu’il a, qu’est-ce qu’il va devenir ? ». la rigueur s’impose, car le déterminisme a bonne presse chez nos gouvernants, à l’école, dans les médias, dans le public. Dans les années 1950, deux rapports britanniques ont été publiés, apparemment contradictoires. le premier « Born to fail », du National Children’s Bureau, parlait de ces enfants que leur hérédité, leur naissance dans une famille défavorisée, instable, « à risques », leur promet un sombre avenir : échec scolaire, exclusion, pauvreté, chômage, existence dévalorisée… le second, œuvre d’un pédiatre réputé, sir Donald Court, s’intitulait « Fit for the future » : il y était question de ces jeunes pour qui la vie de présentait sous de meilleurs auspices. Ces deux messages contraires invitaient bien sûr à donner aussi leurs chances aux mal partis dans l’existence pour qu’ils rejoignent ceux à qui la vie sourit. et Michel lemay nous en trace le chemin. Il n’y a pas plus antidémocratique que la position de l’être humain dans l’existence. sur le plan génétique, il tire de « bons » ou de « mauvais » numéros : - Il connaît une vie embryonnaire et fœtale idéale ou devient agressé par des éléments métaboliques, hémolytiques, viraux ou toxiques. - Il naît sans problème ou souffre des séquelles d’une anoxie. - Il est porteur d’un équipement neurobiologique et physique intact ou souffre d’une maladie grave ou d’un handicap qui risque de se chroniciser. - - Il entre dans un creuset familial uni ou d’emblée désorganisé. Il s’intègre à une microsociété et à une société qui garantissent un minimum de conditions décentes d’existence sur le plan de l’habitat, du droit au travail, de la répartition des richesses, des soins médicaux, ou devient inséré à un groupe marginal, rejeté, délaissé. Une vision éthique suppose qu’on ose reconnaître ces inégalités et qu’à tous les niveaux, une société, soutenue par un système politique cohérent et juste, tente d’éradiquer au maximum les multiples obstacles qui rendent incertaines les chances de s’épanouir.

10 L’IMPORTANCE DU LIEN QUE L’ON CRÉE AVEC L’ENFANT Anna TARDos Psychologue et pédagogue • Hongrie Vous êtes des professionnels auprès des enfants, vous avez des contacts avec les enfants. Vous aimez les enfants, c’est pourquoi vous faites ce travail. Mais qu’est-ce que c’est « aimer » ? Aimer est un mot très riche, mais aussi très général : aimer l’humanité, la nature, votre mère, votre père, vos grandsparents, chaque amour est tout à fait différent. si vous avez un conjoint, vous l’aimez, mais cet amour est tout à fait spécial. et si vous avez des enfants, vous aimez les enfants en général, mais vous aimez votre enfant d’une façon très différente. Mais qu’est-ce que cette façon spéciale d’aimer ? est un peu supérieure. C’est une attitude pro-sociale, une attitude constructive. De plus, dans ce groupe, huit femmes ont eu des enfants et aucune n’a abandonné son enfant ou placé son enfant en pouponnière. Donc, la spirale bien connue, que les enfants abandonnés deviennent des adultes qui abandonnent à leur tour leur enfant, a été interrompue. Pikler a réussi à réaliser ce maternage insolite dont on parle depuis, c’est-à-dire l’attachement réel entre la nurse-éducatrice et le bébé, ou le petit enfant, privé de sa mère. la réalisation d’une relation sécurisante, attentive et personnelle entre l’enfant et l’éducatrice a fait partie des conditions prioritaires de l’institution ; il fallait alors créer le cadre institutionnel et les conditions pour permettre la relation personnelle entre la nurse-éducatrice et l’enfant. emmi Pikler était pédiatre et à ce titre, elle avait d’abord travaillé avec les familles. elle avait avant tout fixé son regard sur le développement physique et psychique sain du bébé et l’a promu. l’image qu’elle avait du bébé était celle d’un bébé en bonne santé, qui est paisible, qui a confiance en lui et en son entourage, qui est actif, intéressé et compétent. les enfants ont besoin d’un contact personnel ; comment, dans un groupe de 8, 10 enfants, réussir à avoir un contact que l’enfant sait être un contact personnel, un contact particulier, avec lui ? Avoir une relation, c’est vraiment individuel. Pour arriver à cela, je ferai un peu d’histoire. Depuis 1946, après la seconde Guerre mondiale, emmi Pikler, pédiatre hongroise qui avait fait ses études à Vienne, le berceau des idées progressistes à cette époque, a fondé une pouponnière, rue lóczy à Budapest. Cette pouponnière a été connue dans le monde parce que les enfants de lóczy n’ont pas souffert du syndrome de l’hospitalisme, mais, au contraire, une étude (examens psychologiques et entrevues) auprès de 100 adultes de 18 à 22 ans qui ont fréquenté lóczy dans leur petite enfance a démontré que ces adultes n’ont pas une intelligence supérieure à la population en général, mais que leur scolarité L’ENFANT un monde à RE-CONNAÎTRE - Pour emmi Pikler, dans les familles comme dans la pouponnière, le vécu constructif du bébé et du petit enfant est promu par le soin. Il fallait laisser l’enfant se mouvoir en liberté. C’était très novateur que de ne pas mettre l’enfant dans une position qu’il ne peut prendre de lui-même. l’enfant a envie de se développer, mais il faut lui donner le temps, respecter son rythme, faire confiance aux compétences de l’enfant. À lóczy, il y a des règles qu’il faut respecter : - - s’occuper de chacun des enfants avec intérêt, avec attention. C’est-à-dire donner le temps, ne pas être pressé ; Profiter du temps ensemble avec l’enfant pendant le soin. Toujours toucher le bébé et l’enfant avec des gestes très délicats. on ne doit jamais être pressé avec lui, se presser n’est pas vraiment être constructif pour le bébé, pour l’enfant ; Parler à l’enfant, lui permettre de coopérer en lui disant ce qu’on fait, ce qui va arriver par la suite, prévenir l’enfant de ce qui va se passer par la suite, lui permettre de se préparer. l’enfant pourra devenir partenaire dans le soin ; 39

COLLOQUE - Être attentive non seulement au niveau de la parole, mais aussi dans les gestes faits par la nurse-éducatrice. Comment prendre le temps dans un groupe, comment tenir l’enfant pour éviter que cela devienne une routine. Prendre le temps... C’est une chorégraphie très précise... Comment prendre le bébé, comment le tenir pour qu’il soit toujours confortable, jamais en déséquilibre, prendre le temps d’un contact avec l’enfant, avoir une vraie intimité. C’est très important ; après quelque temps, les enfants maltraités profitent vraiment de cela. Il y a un vrai intérêt, une satisfaction, un plaisir mutuel. la responsabilité pour cet enfant, c’est une observation, ce n’est pas maternel. Il sait que je ne suis pas sa mère, ce n’est pas un amour qui enferme l’enfant. C’est une vraie attention : « Je te comprends, je te donne la place, je te connais, je te fais confiance ». l’éducatrice a du plaisir d’être avec l’enfant, de donner le temps à l’enfant. elle prend des notes chaque jour, elle les consigne dans un cahier individuel et elle complète également un cahier de développement tous les mois pour voir comment se développe l’enfant. Tout cela n’est possible qu’avec des petits groupes et si l’on ne change pas l’enfant de groupe. Il faut assurer la stabilité du personnel, afin de permettre l’établissement d’un contact réel, d’une relation privilégiée avec son éducatrice. l’enfant ne devrait pas changer d’éducatrice tous les ans : il faut préserver le lien personnel établi avec l’enfant. on ne demande pas aux parents de faire comme à la crèche, la mère (ou le père) ne doit pas être une bonne professionnelle, mais elle doit être une bonne mère. Dans la crèche, l’enfant vit des relations personnelles parallèles, complémentaires, qui donnent quelque chose de spécial et l’éducatrice peut enrichir le répertoire de relations sans être la mère ou sans la remplacer. Il faut donner quelque chose qui soit professionnel, chaleureux, éducatif et parfois même thérapeutique. Parfois on peut penser comme professionnelle que je suis mieux que la mère, mais je ne suis justement pas la mère pour les enfants de la crèche. leur relation, tout aussi fondamentale et significative, se construit avec la mère, avec les parents, dans la famille. Cette façon de faire, d’être ensemble avec l’enfant n’est pas encore acceptée dans les formations de professionnelles ; ce n’est pas spectaculaire, ce sont des attitudes, des gestes au jour le jour, mais je le répète, c’est magnifique. Ce n’est pas 40 simple, c’est un long chemin, mais je pense que c’est très riche pour l’enfant, pour l’éducatrice et aussi pour la famille, et je pense que c’est possible. La conférence a été ponctuée de séquences vidéos afin d’illustrer ses propos. PERDUS SANS LA NATURE 11 Pourquoi les jeunes ne jouent plus dehors et comment y remédier ? François CARDINAl Éditorialiste et chroniqueur • Québec « Viens souper ! » Ma mère crie sur le pas de la porte. D’un bond, je me lève. Je ramasse mon vélo et salue mes voisins : « À tantôt ! » Puis je quitte le sous-bois sur ma monture, empruntant le sentier qui me mène directement à la maison. Cette scène qui se déroulait presque quotidiennement sur la rue Pérodeau, à Québec, où j’ai grandi, vous est sûrement familière puisqu’elle faisait partie du quotidien de la plupart des enfants aujourd’hui adultes. Mais à mon fils de 6 ans, en revanche, cette scène ne dit rien du tout. Tout comme elle ne dit rien à ses amis et aux autres enfants nés au tournant du millénaire, dont les rares temps libres sont passés entre quatre murs, la plupart du temps devant un écran. si bien que le son des enfants qui s’amusent se fait de moins en moins entendre, en banlieue, en région, en ville et à la campagne, à sherbrooke, à outremont, dans le quartier saint-Roch et à Gatineau, ailleurs au Canada, aux États-Unis aussi bien qu’en europe. ACTES DU SYMPOSIUM ET COLLOQUE INTERNATIONAL 2012

Avons-nous, à notre insu, soustrait nos enfants à leur habitat naturel ? Avons-nous éliminé le jeu libre de l’agenda des enfants ? leur imposons-nous un cadre trop rigide, des horaires trop chargés, des vies de fou ? et si c’est le cas, peut-on faire marche arrière ? Doit-on le faire ? le rouleau compresseur de l’urbanisation a lissé, uniformisé, pavé et bétonné les paysages qui regorgeaient jadis de cachettes, de lieux secrets et d’endroits sombres qui faisaient le bonheur des enfants. si nous avions, dans le passé, l’occasion de nous perdre dans un boisé, de jouer dans une rigole ou de grimper un talus sans jamais quitter le voisinage, ce n’est tout simplement plus possible aujourd’hui. les citadins, les banlieusards, les autoroutes et les immenses centres commerciaux sont autant de rats qui grugent les champs. Bon an mal an, la Commission de protection du territoire agricole du Québec reçoit quelque 3 000 demandes de dérogations de toutes sortes afin de bâtir des logements ici, d’agrandir un golf là-bas, de construire un centre de distribution au loin. Ce faisant, on accroît la pression sur les terres agricoles... et sur les terrains de jeu officieux des enfants. De verts, ils sont devenus gris. De riches, ils sont devenus pauvres en biodiversité. « Dans ma cour, maintenant, c’est un nouveau développement, un décor aseptisé, loin de mon doux souvenir d’antan », chante Marie-Annick lépine. Avec raison. Dans la vieille europe, où les urbains s’entassent dans des endroits exigus, autant qu’en Amérique du Nord, où l’espace ne manque pourtant pas, l’enfant qui jette aujourd’hui un coup d’œil par la fenêtre (car il ne sort plus !) a de fortes chances de ne voir comme animaux que des écureuils, des pigeons et des chats en liberté, ce que confirme une étude publiée en 2004 dans la revue scientifique Bioscience. « Dans les villes à travers le monde, écrivent les chercheurs américains, la plupart des résidants se concentrent dans des quartiers ayant une biodiversité grandement appauvrie. la conséquence est tragique et sous-estimée : des milliards de personnes n’auront jamais l’occasion de développer un intérêt pour la nature ». À l’urbanisation s’est ajoutée la popularité du petit écran, encore plus avec l’avènement d’émissions éducatives dans les années 1970. Trop contents que leurs bambins cessent de « perdre leur temps », les parents ont tout de suite vu les bienfaits de cette télé positive qui apprenait tant de belles choses. la popularité de Passe-Partout ici et de Sesame Street ailleurs L’ENFANT un monde à RE-CONNAÎTRE a incité les chaînes de télévision à en offrir plus aux enfants, privilégiant avec le temps, restrictions budgétaires obligent, la quantité plutôt que la qualité. les amis de Cannelle et Pruneau, de Big Bird et elmo ont eu des enfants à leur tour. le petit écran a pris une place grandissante, allant même parfois jusqu’à remplacer la gardienne, voire le temps parental accordé aux bouts de chou. Ajoutons à cela les Nintendo, devenus Xbox, devenus Wii, si chers aux jeunes générations. la place prépondérante de l’auto dans l’aménagement des villes. la culture de la peur alimentée par les nouvelles en continu. l’illusion si caractéristique de notre époque du sacro-saint risque zéro. et le contrôle parental, croissant à mesure que le nombre d’enfants par ménage décroît. Résultat : nos enfants s’enferment de plus en plus pour profiter des avantages de la maison, mais aussi pour s’isoler des dangers de l’extérieur. Mot d’ordre général : la sécurité, surtout pas l’expérience. Inexistantes au Québec, les études sociologiques menées aux États-Unis, en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas, entre autres, confirment l’impact de ce virage sur les habitudes des plus petits. Dans les années 1950 et 1960, jouer signifiait jouer dehors. Plus maintenant, précise une analyse néerlandaise publiée en 2005 dans Children’s Geographies. la chercheure lia Karsten, de l’Amsterdam Institute for Metropolitan and International Development studies, rappelle qu’à cette époque, cela allait de soi, vu l’exiguïté des logements et la liberté accordée aux enfants. Alors qu’aujourd’hui, pour diverses raisons allant du contrôle parental aux peurs modernes, les enfants s’amusent à l’intérieur. Généralisation ? oui, mais une généralisation qui se confirme sur le terrain, de l’avis des éducateurs, des gestionnaires des Muséums nature de Montréal, des experts en santé publique, des biologistes, des urbanistes, etc. « Il y a moins de contacts avec la nature et, par conséquent, moins de connaissances de la nature, confirme Yves Paris, chef de la division de la programmation du Biodôme de Montréal. Ce manque de contact a transformé nos jeunes en illettrés des éléments de la nature ». les inscriptions chez les scouts, rare groupe basé sur l’intérêt pour la nature, en témoignent, même si l’éloignement de la nature n’est pas l’unique raison de cette désaffection. l’Association des scouts du Canada comptait 26 356 membres jeunes en 1999-2000, mais à peine 13 289 en 2008-2009, une chute de moitié. 41

COLLOQUE Il résulte de l’écart grandissant qui sépare nature et enfants une méconnaissance immense des écosystèmes, même urbains. les études montrent que les enfants peuvent appeler les Bakugan et les Pokémon par leur prénom, mais sont incapables de nommer les arbres, oiseaux et plantes qui entourent leur maison. sauf les écureuils, peut-être. 12 L’ALIMENTATION EN SERVICE DE GARDE stéphanie CôTÉ Nutritionniste • Québec Développement des habitudes alimentaires et du goût les habitudes et les comportements alimentaires des enfants se façonnent au fil du temps, au fil des expériences et en fonction des influences. Parmi les déterminants individuels qui influencent les habitudes alimentaires, il y a les préférences innées bien sûr, mais aussi la néophobie. la néophobie se définie comme la réticence devant les nouveaux aliments. Ce phénomène touche environ les trois-quarts des enfants d’âge préscolaire. la manière de réagir à la néophobie de la part des intervenants (et des parents) est cruciale pour influencer positivement le développement du goût chez l’enfant. Notamment, il faut offrir les aliments dans un contexte positif et agréable, et prêcher par l’exemple. Il faut éviter les pressions à manger, de même que les récompenses car elles pourraient entretenir la perception négative de l’enfant face à certains aliments. Parmi les facteurs environnementaux qui influencent le développement des habitudes alimentaires, la qualité de l’offre alimentaire servie aux tout-petits joue un rôle de premier plan. en effet, c’est en étant exposé à une variété d’aliments dès son plus jeune âge que l’enfant apprendra à accepter une alimentation diversifiée pour tout le reste de sa vie. en plus de l’offre, le contexte dans lesquels s’inscrivent les repas et les collations est d’une importance capitale afin d’instaurer un environnement favorable à la saine alimentation. Ainsi, certaines conditions ayant trait au moment, à la durée, au lieu, à l’atmosphère et au déroulement des repas et des collations doivent être mises en place pour contribuer au plaisir de manger sainement. Influence des adultes en service de garde les rôles du service de garde entourant les repas et les collations se résument à « quoi, quand et où ». en d’autres mots, 42 ACTES DU SYMPOSIUM ET COLLOQUE INTERNATIONAL 2012 les paroles et les attitudes des adultes entourant l’enfant ont un impact parfois insoupçonné, sinon sous-estimé. le rôle de modèle de l’adulte prend sens lorsqu’il mange avec l’enfant, mais aussi quand il fait des activités en lien avec l’alimentation et même dans son propre rapport avec les aliments et son corps qu’il laisse transparaître. Par exemple, une femme – éducatrice, responsable de l’alimentation, maman – insatisfaite de sa silhouette, au régime, ou qui parle de certains aliments en les qualifiant « d’engraissants » transmet des messages et parfois des préoccupations à l’enfant. Ressources supplémentaires www.nospetitsmangeurs.org, un site d’extenso, le Centre de référence en nutrition du Département de nutrition de l’Université de Montréal s. Côté. Un enfant sain dans un corps sain, ed. de l’Homme. il a la responsabilité d’assurer des contenus de repas et collations nourrissants, variés, équilibrés. Il assume également la responsabilité de déterminer un horaire prévisible de repas et collations et de permettre aux enfants de manger dans un endroit sécuritaire et confortable. la responsabilité du « combien », c’est-à-dire que la quantité mangée incombe à chaque enfant. si le service de garde s’assure de fournir les aliments en quantité suffisante et adaptée, c’est seulement l’enfant qui peut décider ce qu’il met dans sa bouche ou non. Quand on lui permet, l’enfant respecte naturellement ses signaux de faim et de satiété. Ainsi, il ne faut le forcer ou le restreindre d’aucune façon, même par des paroles de type « bravo, tu as tout mangé », qui sous-entend qu’on est fier de lui lorsqu’il termine son assiette.

13 REGGIO EMILIA : MISSION BIEN-êTRE lella GANDINI Consultante et pédagogue • États-Unis les enseignants ou les éducatrices qui liront ce résumé ou qui ont assisté à cette conférence sont invités à consulter le livre Children Spaces and Relations : Metaproject for an Environment for Young Children, à la base de cette présentation. Ils sont également invités à s’en faire une opinion personnelle et à bâtir leurs propres réflexions par rapport à leur espace et aux transformations qu’ils y initieront avec les enfants. Une douceur générale la douceur, prise comme une métaphore, fait ici référence à la qualité psychologique de l’espace et à la création d’un lieu d’aimable hospitalité, d’accueil et de sérénité. Traditionnellement, les espaces pour la petite enfance avaient tendance à être organisés de manière plutôt rigide, proposant des coins séparés pour les différentes activités proposées dans l’école. Ce clivage physique délibérément établi avait pour objectif de protéger l’autonomie des salles de classe et celle des enseignants. C’était sans compter le risque de limiter d’autant la communication. le choix devrait toutefois porter sur un environnement fonctionnel où différentes dimensions, différentes relations peuvent coexister et où les personnes impliquées peuvent communiquer et travailler ensemble. Par exemple, il faudrait pouvoir s’assurer que les poupons, les trottineurs ou les enfants de 4 ans puissent partager les mêmes espaces. « Ce qui se passe dans les écoles à Reggio ne doit pas être photocopié. Il doit devenir une inspiration, un appel à être soi-même et à trouver sa propre excellence afin de la perfectionner ». extrait du discours de Jerome Bruner à sa nomination de citoyen d’honneur de Reggio emilia, tiré de All of Reggio, éd. Reggio Children, 2000, page 123. les descriptions et les termes utilisés dans cette conférence, autant les mots-clés que les métaphores, sont tous liés les uns aux autres. Ils ont été développés conjointement par des architectes et des enseignants dans le cadre de travaux communs, afin de poser un regard critique sur l’expérience vécue dans les écoles de Reggio emilia. Cette démarche visait à formuler certains critères généraux ou à établir une liste de situations qui traduisent les caractéristiques et les qualités souhaitées d’un environnement adapté aux jeunes enfants. Ces idées sont basées sur les principes fondamentaux de maintien d’une relation et de construction d’expériences éducatives, par l’observation et l’écoute. L’ENFANT un monde à RE-CONNAÎTRE Comment est-ce possible? Cela peut être réalisé grâce à un travail de coopération, d’organisation et par le déploiement d’une stratégie d’écoute et d’accueil. Rester ouvert et porter attention aux autres sont les seules manières d’inviter au dialogue et à l’échange ; il s’agit d’ailleurs de l’une des valeurs intrinsèques de la philosophie de Reggio emilia. l’objectif est de créer un contexte d’empathie, où l’écoute est une façon de respecter les enfants, dans toutes leurs expressions, même dans leurs silences, et de respecter les idées et les intentions des adultes impliqués. Un espace relationnel À travers le partage d’idées et de stratégies novatrices, un réseau de relations et de communication entre adultes et enfants rend possible la création de nombreuses voies d’exploration, de questionnement et d’élaboration de projets. les identités respectives de chacun peuvent trouver une harmonie à travers les relations et l’interprétation de ce qui est vécu à l’école. en apprenant ensemble, en échangeant des points de vue et des idées à propos de nouveaux chemins à explorer, ces relations contribueront à développer une conscience de la valeur des relations et un sens agréable de l’esthétique. Dans son livre Mind and Nature : a Necessary Unity qui réfléchit à l’interdépendance de toutes choses, Gregory Bateson met en évidence l’importance de considérer l’approche esthétique comme le fil qui peut relier les différents éléments 43

COLLOQUE de la réalité : « Par esthétique, je veux dire qui est sensible aux structures qui unissent » (BATESON, G., New York : Bantam Books, 1980). Environnements et réseaux sociaux : une continuité à créer les relations interpersonnelles peuvent se prolonger dans un dialogue avec le monde des objets. Car oui, les objets parlent ! Ils utilisent leur forme ou l’endroit où ils sont placés pour le faire… en outre, les relations créent une continuité entre l’espace intérieur de l’école et l’espace extérieur. Pensez seulement à l’impact de votre espace extérieur. Tout ce qui est socialement relié à l’école permet cette continuité, et est filtré par les valeurs et la philosophie pédagogique de l’école ellemême, une philosophie qui est également partagée avec les parents. Il est donc important d’enrichir les relations avec la communauté, les autres organisations qui œuvrent auprès des enfants, les bibliothèques, les parcs, les principales institutions municipales, etc. Une multitude d’expériences sensorielles les tout-petits et les jeunes enfants découvrent la réalité à travers l’exploration sensorielle, et construisent leurs connaissances et leur mémoire à travers celle-ci. Cette façon individuelle d’expérimenter le monde peut tout à fait se prolonger dans un groupe d’exploration ! Comment est-ce possible ? Un environnement qui invite à l’expérimentation sensorielle en offrant de la variété et en stimulant les perceptions aide les enfants à prendre conscience d’eux-mêmes. Il permet ainsi aux enfants de trouver plus facilement un sens à leurs expériences sensorielles. C’est ce qui permet aux enfants de créer des relations qui mènent à des découvertes cognitives ; les échanges et les conversations avec les enfants sont donc ici cruciaux. Il est important de noter que la qualité de l’espace ou de l’environnement résulte de multiples facteurs : la grandeur et la forme, la fonctionnalité et l’expérience sensorielle telles la lumière, la couleur, la sonorité, l’odeur, la température et les textures. Il n’y a toutefois pas une seule et unique façon d’optimiser la combinaison de tous ces facteurs, car nous avons chacun développé nos sens à différents degrés. Il est important d’éviter la surstimulation et d’adopter plutôt la modération et une variété de possibilités sensorielles afin que chacun puisse y trouver son compte. Flexible et adapté Un espace d’apprentissage doit pouvoir s’adapter. Il doit être 44 assez flexible pour permettre aux enfants qui y vivent quotidiennement de le modifier, soit en demandant aux adultes de le faire, soit en le modifiant eux-mêmes. Cette flexibilité contribue à la bonne marche du groupe d’enfants, celui-ci étant souvent lui-même le moteur des changements apportés dans un milieu scolaire. Mais comment maintenir le respect envers tous les enfants autant qu’envers les intentions pédagogiques des enseignants ? les adultes de l’école partagent la responsabilité de maintenir un dialogue actif avec les enfants et les enseignants pour bien faire connaître les motivations et les besoins de l’ensemble de la communauté scolaire : questions, réponses et négociations constituent d’importantes stratégies d’apprentissage pour les enfants. Participation citoyenne Une école qui s’inspire des relations, du respect et de la participation possède une vie communautaire dont les enfants, les enseignants et les parents en sont le cœur. Ils participent tous à la création du plan pédagogique et à la vie scolaire. la qualité de l’espace favorise le dialogue, la réciprocité et les échanges, elle donne un nouveau sens au mot « appartenance » ; apparaît alors le plaisir de prendre part à l’expérience pédagogique. L’école-laboratoire ou le socioconstructivisme la connaissance ne se construit pas de manière linéaire ou progressive, mais dans un mouvement dynamique et actif, souvent social. la connaissance personnelle se transfère lors des échanges avec autrui, que ce soit entre adultes, avec les enfants ou entre les enfants. À travers le partage et les échanges, la connaissance, les compétences et les stratégies sont modifiées, niées, affirmées, consolidées, reliées, interreliées, raffinées et révisées. en se basant sur l’observation des enfants, les enseignants ont la responsabilité créatrice d’identifier ou de concevoir des expériences, au même titre qu’ils doivent fournir une variété de matériaux et d’outils qui serviront de sources d’exploration et de découvertes. Ces expériences d’abord échafaudées par les enseignants deviennent sources d’apprentissage partagé. La narration Jerome Bruner a écrit que si nous ne racontons pas nos expériences, nous n’existons pas. D’un point de vue philosophique, il existe une tendance qui considère deux niveaux de narration que l’école devrait atteindre. la communication est essentielle et l’espace offre une grande possibilité d’informer ACTES DU SYMPOSIUM ET COLLOQUE INTERNATIONAL 2012

les personnes qui entrent dans l’école de la préoccupation des enseignants envers le bien-être et l’éducation des jeunes enfants, envers le professionnalisme des enseignants euxmêmes ainsi qu’envers la participation des parents. C’est un premier niveau de narration. la visibilité et la transparence dans la classe reflètent ce qui se passe dans l’espace. Mais c’est dans la documentation que l’on produit pour l’ensemble des processus pédagogiques que les recherches des élèves et des enseignants peuvent être vues. Un grande somme de documentation peut être préparée. les mots, les dessins, le matériel, la couleur et les objets peuvent faire entendre la voix et les pensées des enfants en traduisant qui ils sont, même s’ils sont absents. C’est le deuxième niveau de narration dans la classe et dans l’école. La richesse de l’intensité : une attente partagée et non une exception Chaque jour, en observant et en écoutant les enfants, il est possible de remarquer l’extraordinaire capacité d’invention et de découverte qu’ils développent dans leur petit monde scolaire. Il y a tant d’occasions d’apprendre dans un environnement bien organisé et bien pensé. le sentiment de bien-être vient de l’harmonie, de l’équilibre et des interactions positives des différents éléments en jeu. en un mot, une symphonie. la richesse, l’intensité, la générosité et la normalité intéressante peuvent résulter d’une combinaison balancée de plusieurs éléments : tout comme la lumière blanche du soleil est la somme de toutes les lumières du spectre. L’ENFANT un monde à RE-CONNAÎTRE 45

COLLOQUE 14 L’ATTACHEMENT Une grande première : une conférence à deux voix entre Michel LEMAY, pédopsychiatre • Québec Michel MANCIAUX, pédiatre social • France en des mots personnels et avec beaucoup de générosité, Michel lemay et Michel Manciaux présentent l’origine de leur intérêt pour la théorie de l’attachement, avant d’ouvrir un dialogue improvisé et de partager les réflexions. Un historique de la théorie de l’attachement l’idée que les enfants séparés de leur mère souffrent existait avant la théorie de l’attachement. Déjà en 1926, la question de la séparation était posée ; déjà on disait que le besoin de l’attachement est un besoin vital, aussi impérieux que la faim. « l’amour de la mère envers l’enfant est aussi important pour sa santé mentale de l’enfant que le sont les protéines et les vitamines pour sa santé physique », disait Bowlby. la psychologue Mary Ainsworth a complété l’approche de Bowlby en travaillant sur la manière dont la mère répond à ce besoin vital ; bien sûr, on savait que le lien d’attachement n’est pas réservé à la mère, elle est vécue par l’autre parent et même par d’autres personnes. l’attachement est donc inné, mais se développera conjointement par l’enfant et sa figure d’attachement. Puis les éthologistes, comme Konrad lorenz et ses travaux portant sur les oies, ont beaucoup appris aux théoriciens de l’attachement. Ces travaux furent même les débuts conceptuels et de l’observation clinique de la notion d’attachement. l’expérience vient d’un travail effectué auprès de délinquants, qui se sont avérés être des « anthropophages de l’amour ». Ils captaient tout, mais étaient incapables d’assimiler l’affection qu’on leur donnait. Cela éveillait en eux un manque, et on devenait vite des persécuteurs. Par la suite, nous avons été famille d’accueil d’une jeune fille qui vivait des troubles d’attachement importants, une expérience qui fut difficile. À la suite de cette expérience, j’ai écrit J’ai mal à mal mère, alors qu’à cette époque, je ne connaissais pas John Bowlby et les concepts d’attachement. C’est à ce moment que je me suis intéressé à l’attachement. - Michel lemay Je suis père d’une famille nombreuse, à l’époque du baby boom ; l’intérêt face à la théorie de l’attachement relève d’une expérience particulière. J’ai donc eu 5 enfants qui avaient entre 13 ans et 4 ans lors du décès de ma première femme. J’ai par la suite épousé Geneviève, et j’ai eu 3 enfants. Huit fois m’est revenu le problème de l’attachement de l’enfant à sa mère, puis un attachement des enfants du premier lit à une mère qui n’était pas leur mère biologique. l’attachement, ça me parle… - Michel Manciaux 46 Aujourd’hui en 2012, après 60 ans d’émergence du concept, il se passe bien des choses. D’une part, un des grands apports contemporains a été d’apporter une rectification, que Bowlby et Ainsworth avaient quand même déjà abordée : le « monotropisme », qui voulait que l’attachement ne se fasse qu’avec la mère, s’est révélé inexact. le bébé peut en effet s’attacher en même temps à plusieurs personnes, sans qu’il s’agisse de figures d’attachement secondaires. on questionne donc les modalités d’attachement : sont-elles les mêmes pour le père, les grands-parents, les frères et sœurs, ou y a–t-il quelque chose de singulier entre ces différentes figures d’attachement ? D’autre part, les théoriciens ont ainsi abordé et approfondi deux concepts : le modèle opérant interne et le processus de mentalisation. le modèle opérant interne Au fur et à mesure de son développement, le bébé découvre que les figures d’attachement ont des intentions à son égard. Il peut dans la mesure où ces intentions sont cohérentes, développe un modèle dans sa tête, il comprend peu à peu ce que les autres veulent. Quelque chose se prépare pour le bain, la nourriture, les caresses. Cette capacité qu’a le petit enfant de pouvoir se construire un modèle. on l’appelle « opérant » parce qu’il devient opératoire, à savoir que l’autre a des intentions, l’enfant comprend qu’il aura lui ACTES DU SYMPOSIUM ET COLLOQUE INTERNATIONAL 2012

aussi des intentions sur l’autre. « Interne » signifie que ça se développe à l’intérieur même du sujet. le processus de mentalisation le parent, figure d’attachement, conçoit dès le départ l’enfant comme un enfant pensant et non pas un bout de chair et d’os qui ne comprend pas les choses ; il s’adresse à lui comme un objet pensant. Des projections se font alors sur l’enfant : l’enfant se voyant comme un objet pensant va se mettre lui aussi à penser. Il passe de la sensorialité à la motricité, à la pensée. Un autre point qui évolue sont les liens qui commencent à s’établir entre différentes écoles de pensée jusqu’ici rivales : les écoles psychanalytiques, les écoles du cognitivisme (comment se développe l’intelligence), les écoles de la neuroscience (la maturation) et les écoles de la sensorialité et de l’image corporelle. Il est évident qu’il faut que l’enfant mature et se transforme au niveau de son système nerveux central, car un enfant qui peut bien voir, qui a des gestes volontaires ou qui se tient debout ne va pas développer le même mode de relation d’attachement. Grâce à son niveau de maturation, il peut commencer à intégrer bien des éléments de cette relation. Il a en outre des capacités d’imiter des modèles, ce qui s’intègre dans ce qui sera sa future pensée. l’attachement n’est pas seulement un processus affectif, mais également un processus sensoriel, postural, un processus d’échange. l’essentiel étant la synchronie entre la figure d’attachement et le petit enfant, pour que puisse se faire, à partir de cela, un partenariat partagé. Un contre-modèle qui bouleverse en matière d’attachement, il existe un contre-modèle terrible, l’horreur de la Roumanie du temps de Ceausescu. les enfants non désirés ou qu’on trouvait trop nombreux par rapport aux capacités d’accueil du pays, étaient placés dans des « pouponnières », un titre ici bien prétentieux, puisqu’il s’agissait de centres de rétention où personne ne s’occupait de leurs besoins affectifs, et à peine de leurs besoins physiologiques. Ils étaient au lit, abandonnés, nourris mécaniquement et rarement, jamais changés dans la journée, sans contacts humains par les personnes qui auraient dû être maternantes. le non-développement, l’état dans lequel on a trouvé ces enfants quand la Roumanie a été libérée était épouvantable. Ils étaient à peine des êtres humains. Il aura fallu des efforts considérables pour essayer d’en sauver quelques-uns, à un âge L’ENFANT un monde à RE-CONNAÎTRE pas trop tardif. le taux de mortalité y était très important ; ceux qui étaient dans ces mouroirs depuis quelques années n’ont pas survécu ou n’ont pas récupéré. Pour les autres, ce fut extrêmement difficile et coûteux et ça a montré que sans attachement, la vie n’est pas possible. L’attachement commence bien avant la naissance le mouvement même du bébé pendant la grossesse permet le rapprochement de deux verbes : le verbe« se mouvoir » et le verbe « s’émouvoir ». Ce moment du tressaillement originaire constitue la naissance de l’attachement. Cette précocité possible de l’attachement lors de la grossesse se traduit par les différentes étapes de verbalisation aux travers desquelles passe la femme enceinte ; après le « Je suis en retard dans mes règles » et le « Je suis enceinte » arrivera le « J’attends un bébé », traduisant bien la transformation du lien. la pratique de l’haptonomie, le contact de la main de la femme enceinte à travers sa paroi abdominale, a joué un grand rôle dans la compréhension du concept d’attachement prénatal. le contact entre la main caressante et le pôle céphalique de l’enfant peut se partager en famille. le père devient complice et aime à sentir les mouvements de l’enfant, qui tressaille et vient offrir sa tête aux mains caressantes. les frères et sœurs peuvent aussi communiquer avec le petit qui se prépare à naître. Cette théorie a fait école, comme chez Catherine Dolto qui a beaucoup réfléchi au rôle de l’haptonomie dans la création de l’amitié et de l’amour au sein de la dyade mèreenfant ou de la triade mère-père-enfant, qui inclut quelquefois les autres enfants de la famille. la technologie permet de constater que la main posée sur l’abdomen fait réellement bouger et approcher le fœtus de la paroi abdominale. De l’empreinte à l’attachement Quand Bowlby a remarqué qu’il y avait une sorte d’attachement immédiat entre le bébé et la mère, et que ça allait tout à fait contre les théories de l’étayage, qui relève de l’assistance apportée par l’adulte à l’enfant ; ce message était révolutionnaire, alors que les éthologistes, dont Konrad lorenz, connaissaient cette situation : ce mouvement de l’empreinte se retrouve chez tous les mammifères. Période sensible que cette période où l’attachement se développe ; on a beaucoup questionné les ratés ; si on rate le départ, sera-t-il possible de se rattraper ? la pratique a prouvé que rien n’est perdu. Il y a des moments clés, mais il y a aussi une capacité adaptative remarquable chez l’enfant. s’il a raté 47

COLLOQUE une période sensible, il serait terrible de dire ou de croire que l’enfant puisse rester marqué pour la vie. lorsqu’un enfant a longtemps manqué de nourriture affective, d’une relation sécurisante et confiante, il demeure avec des séquelles, mais tout n’est pas perdu ; il s’agira d’un enfant fragile et il lui faudra organiser un milieu d’aide. Cela amène la question de la transmission de l’attachement. Y a-t-il des attitudes fondamentales dans l’attachement? Trois attitudes sont possibles : l’empathie, la fonction de contenance, l’anticipation positive. L’empathie l’empathie est cette capacité que l’on a intuitivement de pouvoir ne pas confondre les besoins et les désirs de l’autre avec nos propres besoins et désirs. Plus on est capable de vibrer aux besoins de l’enfant, mais de ne pas se laisser submerger et confondre avec celles de l’enfant, plus il peut s’établir un partenariat partagé. La fonction de contenance Quand le petit enfant est dans l’angoisse, la rage, la désorganisation, c’est la capacité de l’adulte de pouvoir le contenir, le rassurer, de mettre en mot ce que l’enfant vit et ressent. Grâce à cette « boucle » que nous mettons autour de l’enfant, l’enfant se calme. si l’adulte entre dans la même angoisse que l’enfant, une désorganisation se crée et s’installe autour de l’enfant. L’anticipation positive Il s’agit de cette capacité que nous avons ou non de voir l’enfant non pas tel qu’il est mais tel qu’il va devenir. Nous anticipons toujours les capacités de l’enfant. on interprète qu’il est un sujet désirant, capable de montrer. Il lève le bras ? C’est nécessairement qu’il nous montre quelque chose… Alors qu’il a peut-être simplement mal au bras ! l’enfant est pour le parent un enfant parlant, et face à cela, l’adulte lui parlera. Il l’entre dans un quotidien partagé, dans le quotidien des soins, de attitudes fondamentales et fondatrices qui permettent au sujet de se construire. Sécurité, insécurité, instabilité Alors que l’attachement peut se construire positivement dans un mode de sécurité, d’autres types d’attachement existent, des attachements pathologiques. Toute cette nomenclature de types d’attachement comporte toutefois des risques d’étiquetage, des risques amenant à vouloir « psychiatriser » l’enfant. les professionnels doivent donc agir avec une grande prudence. D’ailleurs, l’enfant qui vit un attachement sécurisant n’est pas nécessairement en meilleur état que l’enfant qui n’en vit pas, car à un moment donné, il faudra que l’enfant 48 se désillusionne, il faudra qu’il comprenne qu’il n’est pas toutpuissant et qu’il peut manquer de confiance. Dans la mesure où le climat est suffisamment contenant et où il y a un groupe de parents qui peut rattraper les choses, le sentiment de manque entraîne aussi un certain dynamisme, des images peuvent se construire et rendre possible l’impossible. Dans le fait de catégoriser et de dire qu’il existe des types d’attachements négatifs, on fait fi de la plasticité, de la capacité de développement de l’enfant. l’attachement est quelque chose de dynamique qu’il est dangereux de fixer avec un objectif. L’attachement fusionnel surtout quand il y a une fratrie sans problème, la pathologie d’un nouveau-né peut déstabiliser la famille. C’est alors qu’il faut mettre en garde contre l’attachement fusionnel. Cet attachement relève de la mère qui risque de faire une fixation profonde et constante pour cet enfant qui se développe difficilement, au détriment des autres enfants qui se développent normalement. Ces familles vivent un grand risque de désunion à cause de la mère qui ne va pas bien. l’attachement fusionnel nie la possibilité de développement de l’enfant en difficulté : la mère considère qu’il a toujours besoin d’elle et elle vit pour lui. Cela démolit aussi la mère; non seulement est-ce astreignant, mais ce n’est certes pas un service à lui rendre. Un attachement positif, mais pas toujours l’attachement est un mouvement de réciprocité entre les parents et l’enfant, un mouvement qui va aboutir au fait que l’enfant se sentira tellement en sécurité et confiant qu’il se permettra de se détacher et d’explorer. Mais dans l’attachement, il y a aussi le mot « attacher » qui comprend le mot « lien », comme « être en laisse », tellement en fusion avec l’autre que précisément il reste soit une sorte de confusion avec l’autre, soit la persistance d’un fantasme de toute-puissance. Tout est permis : l’enfant devient l’enfant-roi. Un jour, il rencontrera les frustrations de la vie quotidienne, et il réagira soit d’une manière opposante soit d’une manière déprimée. Ce qui est paradoxal, c’est le jeu un peu contradictoire entre le fait qu’il faut que l’enfant reçoive beaucoup, se sente en sécurité et en synchronie par rapport au monde qui l’entoure, qu’il sente qu’il est respecté et considéré comme un sujet et non pas qu’un objet de possession. en même temps, il faut aider l’enfant à pouvoir se séparer par moment, avoir des activités libres, des expériences exploratrices, pour pouvoir se développer en lui-même et devenir un enfant individué et non pas un enfant confondu, fondu avec le monde qui l’entoure. ACTES DU SYMPOSIUM ET COLLOQUE INTERNATIONAL 2012

Quand l’attachement tarde… Les cliniques d’attachement, et le Québec y fait figure de pionnier grâce aux travaux de Gloria Jeliu et Yvon Gauthier, sont des cliniques médicalisées et « psychologisées », où on essaie d’aider la famille à créer autour de l’enfant un véritable attachement et à démarrer positivement dans la vie. Quand l’attachement tarde ou ne se fait pas très bien, est-ce que ces cliniques rendent de réels services ? la question se pose, car certes, quelquefois, les intervenants qui y œuvrent ont l’impression d’être dépassés. Ces cliniques constituent toutefois une très grande avancée ; auparavant, quand de graves problèmes se posaient, on séparait l’enfant de ses parents, on le plaçait en institution. l’enfant déprimait, et déprimant, il devenait opposant, et devenant de plus en plus opposant, il ne pouvait plus rester dans le lieu ; c’était donc la succession des placements. souffrir d’un manque ou d’une carence d’attachement pendant l’enfance et garder un manque immense à l’intérieur : à partir de cette réalité, l’adulte peut profondément désirer un objet de possession pour pouvoir compenser la souffrance en lui. Par exemple chez une jeune femme, il risque d’apparaître le désir d’avoir une grossesse rapide et d’avoir un bébé réparateur. À partir de ce désir, l’enfant n’est plus un sujet qu’on a à côté de soi, mais un objet qui va essayer d’empêcher de sombrer dans la dépression. Il est clair que ce bébé est en danger ! Un travail peut bien sûr être fait entre le parent en difficulté et le petit enfant. Généralement ce n’est pas un duo dont il est question, mais d’un système familial. on procède à l’intégration du rôle d’un papa, d’un grand-parent ou d’un membre de la fratrie, afin de reprendre un nouveau dynamisme, de changer les rôles. la rencontre enfant-parent se fait avec un intervenant, pour tenter de rompre le cercle vicieux. le problème le plus important relève souvent du temps ; le temps du parent n’est pas celui de l’enfant ! Alors que le parent apprend à devenir empathique, l’enfant commence à montrer des signes de pathologie, et on se demande s’il vaut mieux continuer ou arrêter. C’est là qu’apparaît l’importance des lieux substitutifs, dont les CPe, et du rôle qu’ils sont appelés à jouer. Par les activités, il faut lui donner confiance en lui-même ; le quotidien est immensément signifiant pour l’enfant. le lieu d’accueil permet de voir apparaître en même temps une réanimation de l’enfant et du système familial dans lequel il était inséré. L’ENFANT un monde à RE-CONNAÎTRE Rôle et possibilité d’action, limite du rôle des professionnels les professionnelles de la petite enfance connaissent les difficultés d’« élevage » au quotidien ; elles doivent être complètement désemparées quelquefois, de voir de enfants s’enfermer dans un début de psychose, ou plus banalement, des difficultés à obtenir un sourire, à voir au jour le jour un enfant qui ne s’épanouit pas. Comment alors aider un enfant qui a un attachement désorganisé ? La France a récemment vécu un conflit national parce que le gouvernement avait prévu une loi obligeant les professionnels de la santé et du travail social à déclarer les enfants de trois ans suspectés d’avoir des troubles de développement, afin, disait-on, de prévenir la délinquance à l’adolescence. Poser un problème en ces termes mène à une voie dangereuse. Face à ce mouvement aberrant, des psychiatres et des pédiatres ont créé un mouvement appelé « Pas de zéro de conduite ». À l’instar des discours de ce mouvement, il faut se garder d’établir des pronostics qui sont portés par la peur de voir des enfants aller mal et devenir asociaux. le problème reste réel. Il faut être un peu fou dans nos métiers, pour croire en des possibilités d’évolution. Il est clair que plus un enfant est symptomatique, plus la structure autour de lui semble nous échapper, plus nos anticipations qui devraient être positives deviennent négatives. Toutefois, quand on revoie ces enfants quelques années plus tard, quelquefois on a de mauvaises surprises. Mais souvent, il y a eu quelque chose dans ce qu’on a fait avec eux, quelque chose qui a eu une fonction organisatrice, puis d’autres personnes et d’autres fonctions organisatrices sont entrées dans sa vie et le sujet « sort du trou » alors qu’on avait l’impression qu’il n’en sortirait jamais. Le temps et la résilience, deux alliés la résilience, c’est être prêt à l’inattendu ; c’est être réceptif aux choses inespérées ; c’est savoir être à l’écoute pour discerner des petits signes prometteurs d’amélioration. Il ne faut absolument pas minimiser notre tâche, notre rôle, dans le partage du quotidien, qui est d’être des figures d’attachement symbolique significatives. Dans cette rencontre avec un intervenant, quelque chose reste attaché dans le psychisme de l’enfant, quelque chose qui mûrit, germe et qui finit par donner des résultats. le meilleur thérapeute est le temps ; autant il peut désorganiser, autant il peut finir par organiser. C’est le propre de nos métiers de pouvoir à la fois vivre des moments de 49

COLLOQUE succès et des moments de désillusion. C’est notre galère, on l’a choisie! - Michel lemay Il ne faut pas enfermer les gens dans une petite case d’un protocole prévu par des administratifs ou des savants, qui sont coupés du concret quelquefois. les grilles d’évaluation enferment, les grilles étant faites pour enfermer. Il n’existe pas de grilles d’évaluation d’une situation qui soit satisfaisante en tous points. Il faut faire le bilan d’une situation, mais il fait toujours trouver du positif en tout. les athlètes handicapés sont un exemple formidable : dans les situations les plus tragiques, ils ont des projets de vie. Ce sont des praticiens du positif ! « Quand je dois préparer un signalement, rédiger un signalement pour un enfant gravement maltraité dans sa famille, je passe autant de temps, je noircis autant de papier pour dire ce qui ne va pas dans cette famille et qui justifie le signalement, que pour dire ce qui va bien ou qui pourrait aller bien et ce sur quoi on pourrait s’appuyer pour commencer un travail de réparation ». - Témoignage d’un éducateur de rue si les professionnels de l’enfance et du développement avaient cette vision-là, que de voir le positif même dans les situations apparemment les plus insolubles et bloquées, ils auraient peut-être des résultats inattendus. À ce sujet, le proverbe anglais Nothing succeeds like success veut dire bien des choses ; un petit succès s’il est bien reçu et bien interprété peut être le point de départ de beaucoup de choses. Beaucoup de petites choses, faites par beaucoup de petites gens, dans beaucoup de petits endroits, peuvent changer la face du monde. - Proverbe chinois 50 ACTES DU SYMPOSIUM ET COLLOQUE INTERNATIONAL 2012

15 DÉVELOPPEMENT DE LA MOTRICITÉ AU PREMIER âGE SELON EMMI PIKLER Agnès SZANTO-FEDER Psychogénéticienne • France Parler d’emmi Pikler, c’est d’abord parler d’une découverte faite il y a 60 ans, puis développée dans des lieux variés. elle a découvert que l’enfant arrive de lui-même à s’asseoir, à se mettre debout et à marcher - même si l’on ne le lui apprend pas - par ses propres moyens et à sa manière. Même si aujourd’hui cela ne nous semble plus très « surprenant », que ce soit prouvé statistiquement et dans des conditions vérifiables a son importance. Cependant, Pikler va plus loin, en proposant de permettre à l’enfant de parcourir effectivement ce chemin. sécurité, combien il est sûr de son équilibre, combien il est détendu même en exécutant un mouvement compliqué. Ce sont des éléments propres à ce développement, faisant donc partie de la découverte de Pikler. Ces propriétés, ainsi que l’apparition de chaque mouvement chez chaque enfant permet de supposer qu’il existe un programme génétiquement déterminé qui, cependant, ne peut apparaître que dans les conditions de « liberté » que Pikler propose. Il existe deux conditions à la « liberté motrice », à l’activité autonome : 1. la sécurité : préserver l’enfant de dangers que son niveau de motricité et de perception ne lui permet pas encore de maîtriser, les deux aspects étant fonction de son âge mental. 2. À l’intérieur de ces limites : mettre en place les conditions les moins restreignantes pour ses gestes et mouvements. lorsqu’elle explique les conditions d’environnement adéLiberté motrice signifie : permettre à l’enfant, à tout âge, de découvrir, d’essayer, d’expérimenter, d’exercer puis de garder ou d’abandonner au fil du temps toutes les formes de mouvement dont il a l’idée au cours de son activité autonome. L’adulte ne met jamais l’enfant dans une position ni ne l’incite à exécuter un mouvement qu’il ne saurait faire de lui-même avec aisance, un mouvement qu’il aura préalablement appris, par son initiative propre au cours de son activité autonome. l’autonomie, l’activité soutenue : un premier sentiment de compétence est inhérent à cette liberté ainsi définie. Ils ont une influence certaine sur le développement de la personnalité de l’enfant. Cependant, d’autres éléments, plus directement liés à la qualité de la vie quotidienne doivent être considérés. Il est en effet frappant, en regardant l’enfant rouler ou se tenir appuyé sur un coude par exemple, de constater combien l’aisance, l’harmonie de ses gestes et de ses mouvements sont remarquables. Il est frappant de réaliser combien il se sent en L’ENFANT un monde à RE-CONNAÎTRE quates pour cette motricité et leurs raisons, on pourrait les résumer par une volonté de limiter les limitations des mouvements que l’enfant veut exécuter à chaque niveau de son développement. Ainsi, la qualité des mouvements et le besoin de mouvements du très jeune enfant se confondent dans cette même liberté. Dans ces conditions, à tous les stades, tous les mouvements déjà acquis sont utilisés dans une grande mobilité : cela constitue la manière d’être du moment de l’enfant. Également, dans ces conditions, les mouvements et les postures des enfants évoluent, leurs formes se suivent de manière très régulière d’un enfant à l’autre. Par contre, et cela semble être la règle, les âges d’acquisition sont très variés, et le rythme de progrès d’un même enfant n’est pas constant au cours des acquisitions. si ces valeurs nous semblent importantes pour le jeune enfant, nous agirons de sorte qu’il puisse en bénéficier.... De l’empathie ? C’est là où, en plus de nos connaissances, nous pouvons aussi faire preuve « d’empathie » envers l’enfant. Dans cette optique, en effet, voici quelques remarques qui nous concernent, nous, les adultes : 1. Il est bon de se mouvoir (du moins, pour la majorité d’entre nous...) ; 2. Nous n’avons pas beaucoup de plaisir à être maladroits ; 3. Avant d’agir, nous préférons nous assurer qu’au bout du geste rien de dangereux ne nous attend ; 51

COLLOQUE 4. et enfin, le plus souvent sans même le savoir, nous n’agissons qu’en étant en équilibre ; ou plus précisément : si l’on n’est pas ou si l’on ne se sent pas en équilibre, on ne peut pas agir. Au bout du compte, ce que Pikler nous propose n’est rien d’autre que d’élargir aux enfants la validité des « valeurs » citées ; et ce, avec d’autant plus d’attention que ces enfants sont petits, car il leur faut d’autres conditions qu’à l’adulte pour en user. La place de l’adulte Cependant, il faut bien préciser : le complément indispensable, dans l’esprit et donc dans la pratique de Pikler, ce sont des soins de qualité, moments d’échanges et de dialogue prolongés, plein d’attention et de respect de la part de l’adulte pour le partenaire qu’est l’enfant. Ce qui fait que l’enfant aussi connaît l’adulte intimement. Dans une démarche complexe de la manière dont la vie de l’enfant au quotidien est gérée par l’adulte, la confiance et le respect mutuels constituent l’essence de leurs relations, où le développement psychomoteur « en liberté » et le mode particulier de l’investissement de l’enfant par l’adulte sont indissociables et s’influencent réciproquement. 16 AMÉNAGEMENT COMESTIBLE ET ÉCOLOGIQUE Ismael HAUTeCoeUR Architecte paysagiste • Québec Un aménagement comestible et écologique est un aménagement qui joint l’utile à l’agréable en proposant un paysage qui est à la fois ornemental et comestible. Dans un contexte éducatif, ce type d’aménagement représente un potentiel intéressant pour tricoter de nouveaux liens avec le paysage, le voisinage, le cycle alimentaire, les saisons et l’environnement. À l’heure des changements climatiques, de la dégradation environnementale et des enjeux de santé liés à l’alimentation, goûter tôt aux plaisirs de jardiner favorise l’adoption de bonnes habitudes de vie tout en permettant l’émergence d’une culture engagée, écologique et participative. l’émerveillement que procure le simple fait de semer, d’entretenir et de récolter offre aux enfants et aux grands de multiples occasions de découvertes, d’apprentissages et de dégustations. 52 Dans le contexte actuel du « déficit nature », le fait que les enfants soient de moins en moins en contact avec la nature, les CPe peuvent jouer un rôle important en intégrant du comestible dans leur aménagement paysager. les CPe possèdent plusieurs atouts pour jouer le rôle stratégique de mentor nature : les enfants y passent beaucoup de temps et particulièrement l’été pendant la période de croissance, le programme pédagogique plus souple permet plus de flexibilités et, de plus, la récolte peut être intégrée aux repas offerts sur place. la présence des parents dans le milieu des CPe constitue également un atout. De nombreuses options s’offrent aux CPe qui désirent jardiner : culture en pleine terre, culture en bacs, en pots, semis intérieurs, compostage. elles peuvent intégrer à leur paysage des plantes vivaces et annuelles. le site peut être entièrement comestible ou intégrer des sections pour le jardinage. les CPe peuvent également collaborer avec la communauté avoisinante pour maintenir un jardin dans le cadre de partenariats gagnant-gagnant. Il existe de nombreux groupes environnementaux ou horticoles qui peuvent aider à la mise en place d’un aménagement comestible et de plus en plus de professionnels offrent ce type de services. Intégrer aux CPe une activité cyclique horticole permet aux enfants de bénéficier chaque année des bienfaits du jardinage : développement de compétences, activité multisensorielle, respect de l’environnement, bonnes habitudes de vie. les liens affectifs que développent les enfants de bas âge avec la nature en jardinant offrent de nombreux bénéfices pour le développement harmonieux des enfants dans leur milieu de vie. ACTES DU SYMPOSIUM ET COLLOQUE INTERNATIONAL 2012

17 ENTRE COLLÈGUES, DES RELATIONS DE qualité • Théâtre-forum ÉTINCelle Conseil et formation en développement relationnel • France la collaboration au sein d’une équipe de professionnels et entre professionnels et parents est un atout essentiel pour permettre aux enfants accueillis de se sentir en sécurité et de développer la confiance en eux-mêmes et dans la vie. Cette collaboration est parfois laborieuse du fait de la diversité des expériences et des visions du monde et peut générer des tensions ou des non-dits pesants. l’élaboration des relations de confiance constitue un apprentissage relationnel. en donnant à manger à Mathieu. Ce dernier mange d’abord avec entrain, puis refuse et commence à jouer avec la nourriture. Armelle s’énerve. Mathieu se met à pleurer, Raphaël également. Armelle hausse le ton. Mireille n’ose rien dire et tente sans succès de rassurer les enfants. Comment garantir la qualité de présence auprès des enfants sans rejeter Armelle ni la blesser ? les échanges dans la salle ont permis de prendre conscience de l’impact des émotions des adultes sur les enfants, de la contagion de ces émotions et de la marge de manœuvre de chacun pour faire évoluer la situation vers plus de sérénité. Plusieurs propositions ont été soumises : proposer à Armelle de la relayer, dire ouvertement à Armelle que ce n’est pas le moment d’aborder ces sujets, mais se rendre disponible plus tard… la deuxième scène aborde la manière dont des propositions de changement sont accueillies dans les réunions d’équipe : À la suite d’une formation qu’il a suivie sur l’intérêt des liens transgénérationnels, Antoine, éducateur de jeunes enfants, propose une rencontre avec les résidents de la maison de retraite. ses collègues lui opposent de nombreuses objections et, pour finir, il abandonne son idée. les situations jouées illustrent la problématique et la rendent vivante. l’animateur invite les participants au débat pour faire émerger les ressentis, les interprétations et les propositions de changement. Un spectateur vient remplacer un personnage pour tester son idée. la scène est rejouée. les spectateurs font part des changements qu’ils ont observés. D’autres idées émergent et enrichissent la réflexion, de nouvelles propositions sont jouées… Il ne s’agit pas de trouver la solution miracle qui règlerait tous les problèmes, mais de développer chez chacun la capacité créatrice de trouver la juste attitude dans une situation donnée, attitude qui prenne en compte les besoins de chacun et apaise les tensions. la première scène présentée aborde la manière dont on peut interpeller une collègue qui a un comportement qui nous choque : Armelle et Mireille donnent à manger à Mathieu et à Raphaël qui ont environ 12 mois. Armelle a de gros soucis à la maison et explique à sa collègue ce qui lui arrive, tout L’ENFANT un monde à RE-CONNAÎTRE 53 Comment transformer les différences de points de vue en dialogue et en intelligence collective nourrissant la créativité et l’enthousiasme ? les nouvelles propositions effraient et déclenchent parfois des peurs et des résistances fortes. Chacun s’acharne à convaincre les autres ; cela tourne au dialogue de sourds, un dialogue épuisant et stérile. les participants ont joué des propositions basées sur l’écoute, la reformulation et le questionnement. Rechercher en équipe des solutions en prenant en compte des avis de chacun ; voilà un but professionnel à favoriser, à viser, à poursuivre !

COLLOQUE 18 Vania JIMeNeZ Médecin de famille • Québec L’accueil du bébé Cette conférence s’adressant à des éducatrices, nous précisons que nous aborderons l’accueil de l’enfant en faisant un détour par l’accueil de la mère elle-même. Comme dans tous les cas, la mère porte en elle un corps « qui n’est pas elle », le bébé, qui arrive toujours dans un milieu étranger à lui est également lui-même un étranger pour sa mère et sa famille. Dépendant des conditions, il s’agira de « degrés » différents d’étrangeté. Pour qu’il soit bien accueilli, en tant qu’être unique dans sa famille, nous formulons l’hypothèse que pour que l’enfant soit bien accueilli (porté) par sa mère, il est essentiel qu’elle-même (et également sa famille) soit bien accueillie (portée), en particulier durant sa grossesse. Pour cela, il est essentiel de considérer la question du portage. Ce qu’est le portage culturel le portage comme tel est un concept dérivé du portage physique des bébés (contre soi), pratique courante dans la plupart des pays non occidentalisés, qui profite aux bébés et qui a été réintroduit dans les pays occidentalisés au cours des dernières années. Il a trait au portage du bébé, mais l’expression portage culturel comporte aussi une signification sur le plan psychique : la mère ne pourrait offrir au jeune enfant un cadre sécurisant qu’à condition qu’elle puisse elle-même s’appuyer sur un cadre culturel externe. or la migration l’éloigne de sa culture, l’isole et la confronte avec un cadre culturel très différent. Étayage et notion d’enveloppe culturelle les 4 fonctions sont présentées dans l’ouvrage Corps espacetemps et traces de l’exil, sous la direction de Abdessalem YAHYAOUI (1989). 1. La maintenance lien avec les 3 fonctions maternelles de Winnicott : holding, handling et object presentation 2. La contenance le groupe de femmes, la grand-mère servent de dépôt, de réceptacle (sensations-images-affects) de la jeune mère et lui permettent de ne pas être dépaysée par des références 54 les stratégies de portage sont de plus en plus complexes selon que l’on fait affaire à un milieu familier, moins familier et pas du tout familier. Ce sont ces stratégies de portage qui sont expérimentées et étudiées à la Maison Bleue. Quelques mots au sujet de la Maison Bleue la Maison Bleue ouvrait ses portes en mai 2007 dans le quartier multiculturel Côte-des-Neiges à Montréal. l’objectif était d’offrir pendant la période périnatale des services de santé et sociaux à des femmes et à des familles en situation de vulnérabilité, différemment de ce qui existait jusqu’à présent dans le réseau de la santé, et inspirés par les projets de pédiatrie sociale mis de l’avant par le docteur Gilles Julien. la plupart des familles fréquentant la Maison Bleue sont immigrantes. Certaines femmes ont un statut de demandeur d’asile ou de réfugiée et ont fréquemment vécu des situations traumatisantes avant de venir au Canada. elles se retrouvent souvent isolées, dans une situation économique précaire, loin de leur famille et de leur pays, coupées de leur culture. elles arrivent ici enceintes, ou deviennent enceintes peu après leur arrivée. Comment, lorsqu’on se retrouve dans cette situation, peut-on prendre soin d’un bébé ? Comment peut-on le porter ? Un des objectifs centraux de la Maison Bleue est d’offrir un cadre qui porte ces femmes enceintes, ces familles ayant de jeunes enfants et qui leur permette à leur tour de bien porter leur bébé, lors de cette transition difficile qu’est leur émigration au Québec. Cette notion de portage, et de portage culturel a été mise au jour par la psychiatre française Marie-Rose Moro. Mais elle n’avait pas été définie jusqu’à présent. À la Maison Bleue, les stratégies sont ajustées en fonction du degré d’étrangeté (2 ou 3), ce qui est fondamental notamment pour pallier l’absence d’étayage culturel relié à la maternité : (par exemple, le rôle traditionnel de la grand-mère, la prise en charge par le groupe de femmes de la mère, du bébé, ACTES DU SYMPOSIUM ET COLLOQUE INTERNATIONAL 2012 L’ENFANT ET SA FAMILLE culturelles non familières (menant à se sentir débordée ou détruite) 3. La fonction de pare-excitation Régule les tensions et simulations que l’enfant provoque chez la mère et vice-versa, protège la dyade contre les atteintes extérieures 4. La fonction d’inscription de traces se reconnaître dans une appartenance, une filiation

et du reste de la famille). la Maison Bleue vise à recréer, par sa philosophie de proximité avec la clientèle, les activités et les services offerts par son personnel, un cadre porteur pour la mère et pour son bébé en constituant une « enveloppe », un « contenant » qui aideront la mère à mieux porter individuellement son bébé. Alors que dans son pays d’origine la mère est « portée » par sa culture, sa communauté, son village ou son quartier, la Maison Bleue vise à reformer en quelque sorte un « village » pour pallier ce qu’elle a perdu en quittant les siens et sa communauté, étant entendu qu’il ne s’agit aucunement de remplacer sa culture, c’est-à-dire les références, pratiques et savoirs issus de celle-ci, mais de la respecter. Une étude a été menée sur le portage culturel. elle visait à comprendre ce qui permet à la clientèle d’avoir une bonne expérience en périnatalité, de bien porter son bébé, et la manière dont la Maison Bleue peut faciliter cet objectif. Pour ce faire, ont d’abord eu lieu des focus groups avec des femmes fréquentant la Maison Bleue, tant francophones qu’anglophones, fin 2008 et début 2009, sur leur expérience d’immigrantes enceintes, accouchant au Québec et mères de jeunes enfants. Puis, à partir de ces propos, une pièce de théâtre a été écrite en 2009, et elle a été bonifiée par l’apport des participantes lors de la 2e réflexion et de créativité, et de bonnes relations dans l’équipe. Ils comprennent aussi la création de réseaux sociaux, et notamment l’entraide. l’étude souligne aussi l’impact que peut avoir un tel portage chez la clientèle : autonomisation (empowerment) et transformation - par exemple un accroissement de l’estime personnelle - la guérison de blessures psychologiques, la création d’un réseau social. 19 Pour une psychopathologie de l’hyperactivité L’ENFANT QUI BOUGE TROP Bernard Golse Pédopsychiatre et psychanalyste • France étape de l’étude : une trentaine d’ateliers de théâtre tenus de l’automne 2009 à mai 2010, ateliers auxquels ont succédé des lectures publiques de la pièce de théâtre par les participantes aux ateliers. les résultats de l’étude menée à la Maison Bleue ont permis de mieux définir ce qu’est le portage culturel, et d’y ajouter une dimension sociale qui n’avait pas jusqu’ici été mise au jour dans la littérature. elle révèle que les femmes enceintes venues d’ailleurs y bénéficient de ce qu’on pourrait appeler un « portage global » dans lequel la dimension culturelle occupe toujours une place importante et à laquelle il importe de rester attentif à tous les stades du processus périnatal. les obstacles à ce portage sont l’insécurité chez la clientèle, reliée à la précarité des conditions de vie, à l’éloignement de la famille et du pays d’origine, aux négociations avec les agences d’immigration, à la méconnaissance des mécanismes de fonctionnement de la société d’accueil. les ingrédients de ce portage sont faits de maternage, de rencontres sur une passerelle entre les intervenants de la Maison Bleue et la clientèle, de qualités humaines de l’équipe telles l’ouverture d’esprit, la souplesse, la capacité d’adaptation, de L’ENFANT un monde à RE-CONNAÎTRE l’hyperactivité, on le sait, fait couler beaucoup d’encre, depuis maintenant de longues années. elle est devenue quelque peu emblématique, car sur elle converge aujourd’hui toute une série de débats et de controverses qui renvoient à une longue histoire d’oppositions de différents vertex dans le champ de la pédopsychiatrie : organogenèse versus psychogenèse, pédagogie et rééducations versus psychothérapies, modèle médical versus modèle psychopathologique ou psychanalytique, traitements médicamenteux versus approches relationnelles, et finalement corps versus psyché ! Dans le monde anglo-saxon, elle est considérée comme l’un des troubles neuropsychiatriques les plus fréquents au cours de l’enfance. Toutefois, il est frappant de constater les grandes divergences épidémiologiques qui existent, en réalité, entre les données recueillies aux États-Unis et celles qui le sont en europe, divergences qui témoignent à l’évidence d’un manque de cohérence et de consensus entre les critères diagnostiques et les systèmes classificatoires. en dépit de l’idée qui considère l’hyperactivité comme une entité clinique stable, les révisions et les redéfinitions continuelles du syndrome plaident, en réalité, en faveur de l’hypothèse inverse. seule une analyse psychopathologique, au cas par cas, de chaque histoire d’enfant hyperactif, permet de véritables choix thérapeutiques, multidimensionnels et spécifiques de chaque enfant. Il s’avère aujourd’hui que l’hyperactivité véritable est finalement assez rare, et qu’elle répond à un modèle fondamentalement multifactoriel qui fait d’elle un trouble partiellement génétique et grandement environnement-dépendant. 55

COLLOQUE les travaux de l’institut Pikler-lóczy (à Budapest) démontrent clairement la possibilité d’une prévention précoce de l’hyperactivité. l’hyperactivité nous amène ainsi à nous questionner quant aux définitions du normal et du pathologique dans le cadre du développement et de l’évolution mentale de l’enfant, avec la délicate problématique des variations de la normale. elle pose aussi des questions sur l’acceptation par la société d’un supposé trouble de l’enfant. Mais, il importe aussi de dire, que plus une société est agitée, moins elle supporte les enfants agités, et plus elle crée pourtant, paradoxalement, les conditions mêmes de leur agitation ! Fondements épistémologiques des différents modèles étiopathogéniques lors d’un congrès de l’esCAP (european society for Children and Adolescent Psychiatry) qui s’était tenu à Paris, en 2003, nous avons bien senti la substitution de clivage qui s’était opérée avec le passage du clivage classique entre organogenèse et psychogenèse, à un nouveau clivage entre une « clinique de l’instant » et une « clinique de l’histoire ». Il y avait déjà là une certaine bascule du point de vue épistémologique général, mais la réflexion épistémologique nous amène également, me semble-t-il, à bien différencier, dans le champ spécifique de l’hyperactivité, les modèles endogènes, les modèles exogènes et les modèles interactifs, avec une sorte de gradient progressif quant à la composante interactive qui les imprègne. - les conceptions anglo-saxonnes renvoient, de fait, à des modèles endogènes. on citera ici le modèle médical linéaire fondé sur la notion de « trou métabolique » (notamment dopaminergique) et l’hypothèse d’une anomalie de la modularité des processus d’attention. - la psychopathologie réactionnelle renvoie, quant à elle, à des modèles exogènes (carences d’ambiance, dépressions maternelles précoces, troubles de l’attachement...). Il importe, toutefois, de laisser toute sa place à la théorie de l’après-coup, car il est clair que ces diverses conditions environnementales ne font pas la même chose à chaque enfant en fonction de son histoire trans- et intergénérationnelle. - les modèles interactifs, enfin, peuvent être compris, désormais, en termes constructivistes. Le rôle des dépressions primitives du bébé Qu’il s’agisse de carences d’ambiance et d’apport relationnel ou de dépressions maternelles (ou parentales), il y a là des situations dépressogènes pour le bébé en l’absence de tiers 56 capable de protéger le bébé. Il importe de souligner qu’il est actuellement très difficile de dire si le bébé souffre directement de la sous-stimulation interactive ou de l’absence de tiers en tant que telle, ou des deux à la fois. en tout état de cause, la faillite du holding initial amène le bébé, dans la perspective des travaux d’esther Bick, à se constituer une « deuxième peau substitutive » par l’agitation motrice qui renvoie à la fois à la question des défenses maniaques et des défenses opératoires. Ces défenses ne donnent pas lieu véritablement à un risque cognitif, mais elles permettent au bébé d’éprouver moins intensément les affects négatifs (anxieux et dépressifs). si la situation perdure, la synchronie polysensorielle se trouve compromise avec la possibilité d’émergence de mécanismes autistiques non structuraux. Comme on le sait, cette deuxième peau motrice s’avère longtemps réversible, mais l’anamnèse se doit d’être très soigneuse afin de tenir compte de cette histoire dépressive précoce pour guider l’offre thérapeutique (psychothérapie individuelle ou groupale). En guise de conclusion : les enjeux thérapeutiques la réflexion épistémologique n’est en rien un luxe gratuit, car il n’y a pas de choix thérapeutique possible qui ne renvoie, de fait, à une conception épistémologique des modèles de référence. les enquêtes récentes ont révélé un décalage croissant aux États-Unis entre la réalité des pratiques de terrain d’une part, et d’autre part les recommandations officielles. Il en résulte une expansion considérable des prescriptions de psychotropes. l’exemple de ces dérives doit nous inciter à maintenir les règles strictes qui encadrent les prescriptions de psychostimulants en France, et qui semblent avoir permis de maintenir l’usage de ces médicaments dans des limites acceptables. l’axe psychopathologique de nos réflexions ne saurait ainsi être sous-estimé, de même que l’approche psychanalytique de ces difficultés dont la mise en sens permet à l’enfant, non pas de modifier les événements relationnels auxquels il a été confronté, mais de changer le regard qu’il porte sur eux, c’està-dire d’en élaborer progressivement une narrativité différente et qui représente, en soi, une modalité efficace d’intervention parallèlement aux autres mesures disponibles. Telle est, en tout cas, notre conception actuelle d’une approche raisonnée de l’hyperactivité dont les fondements épistémologiques demandent donc à être explicités avec, précisément… la plus grande attention ! ACTES DU SYMPOSIUM ET COLLOQUE INTERNATIONAL 2012

ACTIVITÉ s D e ClôTUR e 20 LE MONDE DE L’ENFANT ÉTINCelle emmanuel leVRARD, Alex GRACI, Véronique GUÉRIN, Flavien LAFOSSE, Élisabeth LOMBAT et Cathy LUMALÉ • France Très loin, très ténus, des bruits sourds m’enveloppent, emplissent mon univers noir et liquide. Qu’est-ce, sinon l’impression d’un battement de cœur, d’une respiration, d’une voix soudaine qui s’extasie. Je l’entends la voix de celle qui m’enveloppe, me couve, me protège. J’entends peu à peu sa voix à lui aussi, je sens ses mains m’entourer au-delà d’une paroi qui s’amincit au fil des mois. Puis une lumière éblouissante m’accueille, des odeurs déjà familières, et cette voix de maman que je connais et que j’aime, avant même de lui avoir donné un nom. Une année, deux années s’écoulent. les frontières de mon univers s’étendent, les limites s’éloignent. Je bouge, je souris, je mange et je pleure. Je marche, je parle, je vis ! Je deviens moi, je partage peu à peu une nouvelle vérité, celle des grands et celle des autres petits. les regards se sont croisés, ils partagent le bonheur d’avoir vécu une enfance heureuse, avec vous mes parents, avec toi ma famille, avec vous mes éducatrices. la petite enfance est finie, mais le monde est à moi et le chemin s’ouvre : prends ma main, j’ai encore besoin de toi. L’ENFANT un monde à RE-CONNAÎTRE 57

PANel D e ClôTUR e Animation : stéphan BUReAU, journaliste Panellistes : Michel LEMAY, pédopsychiatre et professeur titulaire • Anna TARDOS, psychologue et pédagogue • Michel MANCIAUX, pédiatre social • Agnès SZANTO-FEDER, psychogénéticienne • Marie-France DUCAS, éducatrice au CPE Franquette la Grenouille • Cassandra LETARTE, conseillère pédagogique au CPE Les Petits Semeurs • Mélanie GAUTHIER, directrice générale du CPE Franquette la Grenouille • Claudette PITRE-ROBIN, directrice générale du RCPEM Dimanche matin : il ne reste plus que quelques heures avant de quitter l’Hôtel des seigneurs, ce lieu de convergence d’idées et de questionnements fondamentaux qu’il est devenu, le temps d’un Colloque. Dernière rencontre pour 760 professionnelles de la petite enfance, dernier moment de partage pour les conférenciers ; après le retour aux sources de l’enfance que nous a offert l’équipe de l’Étincelle, la table est mise pour un bilan de clôture. Réunis à la table, spécialistes et intervenants du milieu sont invités tour à tour à apporter et à confronter leurs points de vue respectifs, leur vision, leurs inquiétudes, à dresser un portrait de la situation quant au monde de l’enfant et à notre volonté de le re-connaître, tel qu’il est véritablement. COLLOQUE Sous forme d’échanges à bâtons rompus, d’idées lancées en regard des propos tenus lors des conférences, nos panellistes réfléchissent ensemble : Michel LEMAY la pièce que vient de nous proposer l’Étincelle met bien en lumière l’existence d’une zone intermédiaire, une ambivalence entre le parent et l’environnement, ce dernier n’offrant pas toujours ou offrant mal le soutien dont le parent a besoin pour jouer son rôle. Tout en étant reconnaissant à ce milieu, le parent développe non pas tant une méfiance, mais une difficulté à lui faire entièrement confiance. Car ceux qui se disent théoriciens, mais qui ne sont pas dans l’exigence du quotidien, ont du mal à comprendre la force et la richesse de la quotidienneté. le discours de ces spécialistes qui inondent le parent de conseils et de recommandations se situe quelquefois à mille lieues des personnes, des parents, qui eux, travaillent directement sur le terrain. Pourtant, on connaît bien la difficulté de ne pas entrer en fusion avec les enfants ; l’accompagnement du professionnel suggère en effet l’existence d’une kaléidoscopie de souvenirs personnels qui reviennent, chaque fois qu’il rencontre un enfant. 58 Je ne suis pas d’accord sur le fait que les enfants naissent tous égaux ; ils ont leurs propres capacités, mais il existe une grande antidémocratie dans le domaine du développement de l’être humain, que ce soit en terme de génétique, de grossesse, de naissance, des premières semaines de la vie, de transmission virale ou non, de milieu encadrant ou désorganisé, de société qui tente ou non d’apporter des choses pour l’enfant : il est donc certain que les chances de départ ne sont pas égales. Mais en tant que professionnels, nos interventions individuelles et notre militantisme social peuvent jouer un rôle de grande importance. Nous devons faire respecter leurs besoins réels car au même titre qu’on peut rendre des enfants obèses de nourriture, on peut les rendre obèses d’activités, sans tenir compte de leurs besoins. l’essentiel, que nous partageons tous que l’on soit parent, grand-parent, pédopsychiatre ou éducateur, c’est d’être convaincus que le rôle des éducatrices et des ACTES DU SYMPOSIUM ET COLLOQUE INTERNATIONAL 2012

CPe est essentiel. Il s’agit d’un travail enthousiasmant, mais des plus difficiles. les éducatrices ne sont pas les parents, mais des figures d’attachement ; elles ne sont pas des enseignantes, mais elles préparent les enfants à leur avenir. elles ne sont pas des monitrices, mais ouvrent à l’imaginaire. elles ne sont pas des thérapeutes, mais rectifient la trajectoire par leur présence. les intervenantes de la petite enfance cherchent la qualité et le dosage de leur présence, de leurs actions, de leurs attachements ; elles doivent s’engager, tout en restant distanciées. elles deviennent signifiantes pour permettre aux enfants de développer un chemin de vie. Anna TARDos on ne se souvient pas de sa naissance ni même quelquefois de sa propre petite enfance, mais on la revit à travers celle de ses enfants. Être avec l’enfant, le comprendre ; c’est un temps de vie qui devrait être heureux. Toutefois, les soucis quotidiens existent bel et bien, à chaque moment. les difficultés sont liées aux solutions que l’on doit sans cesse trouver, à des réalités que l’on doit quotidiennement vivre et surmonter. Comprendre l’enfant est une longue démarche pédagogique ! les parents font le chemin assez bien, et il est heureux de se rappeler que les enfants n’ont pas besoin de parents parfaits ! Winnicott nous rappelle qu’ils ont besoin « d’assez bons parents ». Pour les professionnels, toutefois, c’est une autre réalité ; il est essentiel de poursuivre sans cesse son perfectionnement. Cette nuance doit être bien comprise, si l’on ne veut pas être sujet à l’irritation, à la colère ou même à la panique, quelquefois. Il faut distinguer « besoins généraux » et « besoins individuels » : il faut savoir que nous pouvons influencer ou créer les besoins des enfants. Dans son livre pour les parents, emmi Pikler propose un chapitre intitulé « Éduquer ou pleurer ». elle y explique que quand l’enfant pleure, on le prend, comme une réponse à ses pleurs. Ainsi, à force de le faire, le bébé a « appris » ce besoin. l’enfant pleure ou est inconfortable, la maman le met au sein : encore là, on crée un besoin. Il est ainsi facile de détourner les besoins réels ou naturels. C’est une question d’éducation que de comprendre que l’enfant a besoin d’être porté, de se promener, de dormir. Ça peut être vrai, mais peut-être pas : est-ce un besoin fondamental, ou est-ce que j’ai développé ce besoin, parce que je l’ai imaginé ? la question se pose. Par rapport aux parents et à une nouvelle approche qu’on leur propose, il est important de comprendre qu’il ne s’agit pas L’ENFANT un monde à RE-CONNAÎTRE d’« appliquer » une théorie, un courant. Il y a un grand danger au terme « appliquer » ; il faut réfléchir : ça aide à mieux comprendre. Il ne faut pas « appliquer », comme une recette. C’est à prendre comme un modèle à réfléchir. on doit toujours se questionner. les enfants ont besoin d’une attitude franche : il faut être convaincus, et il ne faut pas appliquer si l’on n’a pas compris. sinon, ce sera plaqué et pas intégré, problématique, incohérent, inconsistant. Dans une bonne crèche, les parents doivent être accueillis. Il faut montrer l’attitude, l’atmosphère et ne pas trop se mêler à la vie familiale. Il faut éviter de dire « je connais Pikler, j’ai maintenant la vérité ». C’est un autre métier que de savoir comment réfléchir avec les parents et de travailler avec eux ; il ne faut absolument pas outrepasser ses compétences. les compétences des éducatrices, c’est avec les enfants, pas avec les parents. Ainsi, il faut éviter de les conseiller dans leur rôle de parent. sinon, on peut enlever la sécurité des parents. Michel MANCIAUX les spécialistes doivent revoir leurs façons de faire ; ils ne doivent pas parler doctoralement. Comme le disait le grand pédagogue polonais Janusz Korczak qui, directeur de l’orphelinat du ghetto de Varsovie, accompagna, alors qu’il pouvait s’échapper, ses petits protégés au camp de la mort : « Vous dites c’est difficile de s’occuper des enfants et vous avez raison. et vous dites parce qu’il faut s’abaisser pour se mettre à leur niveau et là, vous avez tort. C’est difficile parce qu’il faut se hausser sur la pointe des pieds pour s’élever à leur hauteur ». Georges Duhamel, auteur et académicien, parlait des enfants qui nous déstabilisent complètement, qui nous permettent de refaire un chemin d’humilité et de tout remettre en question, que l’on soit parent ou grand-parent. Il disait « Avec des enfants, tu remettras des peut-être aux ailes de tous tes projets ». les enfants sont là pour nous redonner la modestie, pour nous rendre plus sensibles à la parole des autres, y compris celles des tout-petits, même par nos réactions non verbales. Nous garder ouverts à la parole des enfants, c’est rester ouverts à l’inattendu. Il faut aussi se méfier des comparaisons entre enfants, des échelles d’évaluation, des théories. en tant que parent ou éducateur, on met souvent la barre trop haute et l’on met l’enfant en situation d’échec. Compte tenu des moyens et du temps nécessaires pour progresser, l’enfant n’arrive pas à ce qu’on attend de lui. les Américains ont cette phrase ter59

PANel D e ClôTUR e rible : le « blâme de la victime ». on blâme les enfants s’ils ne répondent pas à nos attentes, alors qu’ils n’ont pas eu les moyens ni le temps nécessaires. Évitons donc les comparaisons entre les performants et les plus lents, et respectons le rythme de chacun. Faisons ainsi un contrat de développement avec l’enfant… Agnès SZANTO-FEDER Nos enfants ne fonctionnent pas avec leurs propres enfants comme nous l’avons fait nous-mêmes. Ainsi, chaque parent et chaque couple a ses instincts, ses façons de faire, ses préoccupations. se soulève alors la question du besoin : on ne connaît pas aujourd’hui tous les besoins des enfants. la vie continue et nous allons continuer à en découvrir. Bien sûr, presque tout le monde travaille en pensant donner ce dont les enfants ont besoin, c’est ce que nous avons appris, mais on ne le « saura » jamais réellement. Pour y arriver au mieux, on ne peut faire autrement que laisser une place immense à l’observation : observer avec empathie et tenter de comprendre par l’observation, pour adapter nos actions. lors de ce colloque, on a parlé beaucoup de lóczy, mais on a aussi parlé de Reggio emilia et d’autres approches qui promeuvent des approches similaires ou qui amènent des changements de mentalité ou de façons de faire, en intégrant le respect des besoins et du rythme propre à l’enfant. Ainsi, certains CPe travaillent actuellement à modifier leurs approches. Mais du point de vue opérationnel, dans un univers de productivité, est-ce réalisable de concilier les attentes et besoins de tous et de chacun, que ce soit le prix de la garde jusqu’au rendement, des attentes élevées des parents face à la garderie et des pressions qu’ils vivent et qu’ils exercent. Il ne faut pas en cours de route oublier les parents ; un équilibre reste à maintenir, c’est un absolu à respecter. Il est impossible de s’occuper des enfants si l’on ne connaît pas son milieu familial. et on sait que les parents aussi doivent gérer une grande anxiété, autant que les enfants peuvent en vivre sous la pression qu’on leur impose. Par rapport aux besoins des enfants, la question se pose à savoir si l’on crée de nouveaux besoins ou s’ils sont réels et adaptés aux nouvelles connaissances scientifiques. les besoins peuvent bien sûr être dynamiquement changeants, en fonction des changements des parents, et de nouveaux besoins apparaissent en regard des nouveaux besoins des familles. Toutefois, ils sont « perdus » quelquefois en matière d’éducation : ils sont confrontés à trop d’informations, à trop de « conseils » 60 professionnels. on oublie malheureusement qu’on a fait tout un chemin pour être convaincus de l’approche piklérienne, Reggio ou autres, et l’on souhaiterait que les parents adhèrent à nos vues sans avoir cheminé eux-mêmes ? les enfants naissent avec des besoins fondamentaux, et ils ne sont pas égaux, c’est certain. la plus grande découverte de notre siècle, un des besoins fondamentaux du petit enfant, c’est le besoin d’activité. Pas d’agitation, mais d’activité que l’adulte peut essayer de comprendre et d’observer. Ils ont tous besoin d’être vus, regardés, ils ont le souci d’être entourés. Tous les enfants sont des individus et il faut les respecter comme tels. COLLOQUE Cassandra leTARTe l’approche piklérienne commence à prendre forme dans nos milieux, on peut y arriver quand on se donne une direction. Madame Tardos a parlé d’un chemin : il est important de s’installer dans un chemin, de se diriger dans un sens commun. Pour une installation, il est possible d’arriver à quelque chose de concret, si l’on se donne collectivement une direction. Mais des choix doivent être faits ; plusieurs parents ont ainsi assisté à la journée colloque du samedi. la société exerce des pressions immenses sur les parents, qui demandent beaucoup. les parents demandent des résultats, les spécialistes doivent actuellement leur dire qu’ils veulent laisser le temps aux enfants d’être des enfants, sans qu’ils aient à « produire ». Il s’agit d’un « freinage » sur la course à la productivité. le processus ne sera jamais terminé; les besoins se transforment et les choix que font les CPe doivent être pris pour ACTES DU SYMPOSIUM ET COLLOQUE INTERNATIONAL 2012

l’avenir, pas pour l’immédiat. Il faut permettre aux éducatrices de prendre du temps de réflexion. elles ne sont pas nécessairement toutes au même point dans le processus de réflexion. les questions de gestion et de coût jouent également un rôle et ont nécessairement un impact. Il faut faire preuve d’ouverture, de patience. Pour qu’ensemble parents et éducatrices puissent travailler et arriver à un but commun, on doit peut-être quitter le livre et décider ensemble ce qu’on doit faire avec cet enfant-là… Marie-France DUCAs Dans un monde de rapidité et de résultats, les démarches prennent du temps pour se mettre en chemin. Des réflexions importantes doivent être entreprises, particulièrement pour ce qui est du temps : prendre le temps, leur laisser du temps. les professionnelles doivent elles-mêmes prendre le temps. elles doivent amener la réflexion dans leur milieu, aux parents et au reste de l’équipe, qui doit en être convaincue. Il faut amorcer une réflexion : il faut laisser le temps au temps. Mélanie GAUTHIeR la directrice d’un CPe a le privilège de travailler avec tous les intervenants, autant les parents que l’équipe éducative. la notion de temps est importante, mais elle doit aussi être amenée au niveau de la société entière. les spécialistes ont vécu, appris, observé, réfléchi… on prend conscience que l’on vit dans un monde qui roule, qui laisse peu de temps à l’observation des nouvelles découvertes de l’enfant, du bébé ou de l’adolescent, de le regarder évoluer. Comme directrice, nous avons des apprentissages théoriques à faire, ce qui occasionne beaucoup de travail pour entreprendre de nouvelles démarches. si tout le monde n’est pas convaincu, l’équipe doit prendre le temps de l’intégrer, de se l’approprier, peu importe le temps que cela prendra : une graine à la fois pour avoir un jardin ! Claudette PITRe-RoBIN Tout parent veut le mieux pour son enfant. Mais le « mieux » n’est pas toujours le même pour tous, et le « comment » peut différer. les parents sont très sensibles à tout ce qui se dit et se vend : on offre des cours de gymnastique, de musique, des ateliers, des activités... le « commerce de l’enfance » est florissant et face à tout cela, il est normal que les parents veuillent trouver le mieux. Ils se lancent alors dans toutes sortes L’ENFANT un monde à RE-CONNAÎTRE L’enfance doit être reconnue et appréciée comme ce qu’elle est : une période fondamentale de chaque existence ; un âge de désir, de plaisir, de devenir ; un âge aussi de fragilité qui demande une attention respectueuse et un soutien affectueux ; une chance pour les familles, les communautés, les sociétés, le monde. Les petites personnes que sont les enfants ne sont pas des adultes en miniature : elles sont des personnes à part entière et ont droit à notre soutien, à notre respect, à notre affection, à nos soins. Michel Manciaux d’avenues. Ils deviennent experts en taxi plutôt que d’être juste avec leurs enfants. Mais quand on leur présente les films de Bernard Martino, les parents sont franchement bouleversés, soulagés, rassurés; ils voient que c’est possible pour eux, malgré la société de vitesse, de compétitivité et de pression qu’on leur présente, de vivre autrement avec leurs enfants. Ainsi, entre la famille et le service de garde, il est essentiel de proposer une phase d’intégration. Actuellement, il n’y a malheureusement pas encore de politique qui soutienne cette pratique d’accueil. et comme c’est essentiel pour les enfants et pour les parents, on en appelle au gouvernement pour le permettre. l’angoisse des parents doit être prise en compte ; en tant que professionnels, non seulement faut-il les écouter, mais surtout, les respecter. 61

COLLOQUE PARENTS ET RSG EN MILIEU FAMILIAL COLLOQUE Ils sont des centaines en Montérégie à s’investir bénévolement au conseil d’administration de leur CPe. elles sont des milliers à accueillir chaque jour dans leur service de garde en milieu familial des enfants dont elles prennent soin. le RCPeM tenait donc à soutenir les parents utilisateurs au conseil d’administration de leur corporation et les RsG en milieu familial reconnues, en leur offrant une journée toute particulière dans le cadre de ce Colloque international. Cette journée a été l’occasion de faire converger en un même lieu une somme considérable de réflexions, de questionnements et d’idées partagées, autour et pour l’enfant que nous voulons tous et toutes mieux Re-CoNNAÎTRe. 01 L’ENFANT : CENTRE DES PRÉOCCUPATIONS DE L’ADMINISTRATEUR (pour les parents) louise CHAMPOUX-PAILLÉ Administratrice de sociétés certifiées • Québec siéger au conseil d’administration d’un centre de la petite enfance est un défi de taille. Motivé par la volonté de s’assurer que son ou ses enfants compteront sur le meilleur milieu d’épanouissement, le parent propose sa candidature à titre d’administrateur avec ses préoccupations et ses rêves : il oublie parfois que l’administrateur d’une organisation doit exercer ses fonctions dans l’intérêt supérieur de l’organisation. Engagement en regard des valeurs, de la mission, de la vision Quelles sont les valeurs de notre CPE et comment se reflètentelles dans notre organisation : intégrité, pérennité, transparence, équité, efficience, prudence, solidarité, entraide, respect ? Un tel enjeu de gouvernance doit faire l’objet d’une politique, d’un code d’éthique promu par ses administrateurs et sa direction générale et d’un suivi, afin de mesurer le respect de celles-ci dans le cadre du fonctionnement du conseil et de la direction générale. Avons-nous une mission et une vision et si oui, est-elle à jour, la comprenons-nous bien et l’utilisons-nous comme cadre de référence à notre processus décisionnel? Comment voyonsnous notre CPe dans cinq ans : offrirons-nous les mêmes services, notre clientèle sera-t-elle toujours la même, doit-on faire des investissements pour être davantage efficaces? D’une manière générale, on définit le rôle d’un conseil d’administration comme étant celui de gérer les activités et les affaires de l’organisme et en surveiller la gestion. Ce rôle doit s’inscrire dans une mission et une vision nourries de valeurs où les besoins éducatifs de l’ensemble des enfants desservis par le Centre tant aujourd’hui que demain servent de phare aux administrateurs. Conférence axée sur la pratique, les grandes lignes de bonne gouvernance de conseils d’administration ont été abordées de manière à inviter les administrateurs à s’autoévaluer sur les points suivants. 62 Atteinte des objectifs à court et à moyen terme le rôle d’un conseil d’administration est de gérer les activités et surveiller la gestion. Quels moyens prenons-nous pour bien connaître les besoins de nos parents et connaître leur taux de satisfaction ? Révisons-nous notre offre de service périodiquement et avons-nous des critères mesurables pour évaluer notre efficience. A-t-on déjà pensé à identifier les risques auxquels notre organisation est exposée et des moyens que nous pourrions prendre afin de réduire notre vulnérabilité ? Relation entre le conseil d’administration et la direction générale le conseil d’administration fixe les objectifs et la direction générale met de l’avant les moyens pour les atteindre. A-t-on une vision claire des rôles et responsabilités respectifs des administrateurs et de la direction générale ? Comment s’assure-t-on que les deux parties travaillent dans un esprit de collaboration et de respect mutuel ? est-ce que le conseil d’administration transmet des objectifs clairs à sa direction générale ? Comment effectue-t-elle sa reddition de compte et quels moyens ACTES DU SYMPOSIUM ET COLLOQUE INTERNATIONAL 2012

le conseil met-il de l’avant pour l’appuyer dans cette tâche ? Y a-t-il un processus d’évaluation de la direction générale à la lumière de critères bien définis et établis d’un commun accord ? Comment nous organisons-nous à l’interne afin d’atteindre nos objectifs avec un souci d’efficience et d’équité ? Fonctionnement du conseil et évaluation le fonctionnement efficace d’un conseil repose sur un président, chef d’orchestre, qui sait gérer les réunions en faisant appel à un ordre du jour bien conçu et bien préparé, des discussions ciblées aboutissant à des décisions claires, des procèsverbaux dans lesquels les décisions et les points litigieux sont consignés de manière claire et acheminés rapidement ainsi que des opportunités régulières ou périodiques permettant des discussions entre administrateurs. Comment se classe le conseil d’administration à ses différents égards ? Avons-nous suffisamment de temps pour discuter des points à l’ordre du jour et le nombre de réunions est-il adéquat pour remplir notre rôle et nos responsabilités ? les administrateurs reçoivent-ils toutes les informations nécessaires pour exercer leurs devoirs d’administrateurs ? Comment prévoit-on l’intégration des nouveaux administrateurs ? Disposons-nous d’un tableau de compétences requises de manière à déterminer si nous disposons de toutes les compétences requises pour que le conseil joue efficacement son rôle ? Nos comités répondent-ils à nos attentes, ont-ils un mandat clair et rendent-ils compte auprès du conseil ? les administrateurs reçoivent-ils une rétroaction quant à leur contribution au conseil ? Reddition de compte Annuellement, le conseil d’administration doit rendre compte de ses décisions et de ses activités. l’assemblée annuelle et le rapport annuel servent à cette fin. est-ce que ce processus de reddition de compte répond aux attentes : moment de la réunion, période de questions, etc. ? Ce tour d’horizon des bonnes pratiques en matière de gouvernance visait, outre un partage de connaissances et d’expériences, de transmettre aux participants des outils de base pour améliorer le fonctionnement de leurs conseils en tenant compte du caractère particulier de l’engagement d’un administrateur au sein d’un centre de la petite enfance. Dans le cadre de cette conférence, monsieur Jean-Marc Félio présente un outil internet créé pour les administrateurs : le cpe.reseauCA.net, disponible via le RCPEM. L’ENFANT un monde à RE-CONNAÎTRE 01 ACCUEILLIR L’ENFANT (pour les RSG) Pendant la conférence de madame Champoux-Paillé offerte aux parents administrateurs, les RsG en milieu familial ont assisté et participé à la conférence Accueillir l’enfant, présentée par le truchement du théâtre-forum. Le résumé de cette conférence est disponible en page 32 du présent document (conférence no. 05). 02 COMPRENDRE LE MONDE DE L’ENFANT Jean ePsTeIN Psychosociologue • France Alors qu’il rencontre généralement le personnel des centres de la petite enfance, lors de ses passages au Québec, ce présent colloque offre l’occasion au conférencier de rencontrer les parents et les responsables d’un service de garde en milieu familial. Ces dernières sont des professionnelles, mais qui accueillent les enfants dans leur milieu de vie. le titre de « RsG en milieu familial » donne alors une image beaucoup plus représentative de la réalité que celle de leurs vis-à-vis européennes. En France, on les appelle des « assistantes-maternelles », ce qui fait disparaître l’idée du lieu, du milieu familial. Ça sousentend que le père n’existe pas, ou pire, que la mère n’est pas particulièrement bonne, puisqu’elle a besoin d’une assistante. en Belgique, on les appelle des « gardiennes encadrées », et en suisse, des « mamans de jour ». Ici, on a compris qu’il peut y avoir le conjoint qui apporte le côté masculin du milieu, que chez elles ou qu’il y a des règles qui ne sont pas les mêmes que chez l’enfant. C’est la faculté d’adaptabilité qui est développée chez l’enfant. Comprendre le monde de l’enfant Pour comprend le monde de l’enfant, il est nécessaire d’avoir 63

COLLOQUE PARENTS ET RSG EN MILIEU FAMILIAL une certaine connaissance, mais on se rend vite compte qu’il est si facile d’oublier… Par exemple, plus on étudie le rythme de développement des enfants, plus il semble que la question de la « normalité » est étendue. Ainsi, on dit que l’enfant devrait commencer à marcher entre 10 et 16 mois. Pourtant, il faut qu’il ait développé tout à la fois la force et l’équilibre, que sa calcification soit terminée, et il faut aussi qu’il en ait envie ! Tout cela est important et chaque enfant peut vivre des décalages en fonction de l’acquisition de l’une ou l’autre des conditions. on le sait bien, mais on continue à acheter des marchettes (des « youpala », en France) pour accélérer les apprentissages. on peut donc voir des parents qui consultent, parce que leur enfant a les « pieds qui tournent ». C’est simplement qu’il a été mis debout trop tôt, alors que son squelette n’est pas encore capable de suivre. Un peu de patience, et les pieds de cet enfant redeviendront comme ils devraient être ! Connaître l’enfant, certes, mais aussi le reconnaître. et le « re-connaître », c’est combler le fossé entre ce qu’on sait et ce qu’on en fait. Comme on se plaît à dire souvent en réaction au fameux livre de Brazelton, « tout se joue avant… ». C’est faux, car on sait bien que tout se joue avant la mort ! l’adolescent, par exemple, n’est ni bébé ni adulte, il est simultanément, et tour à tour, les deux. Il y a donc nécessité pour lui de faire des « sessions de rattrapage », parce que l’adolescent a encore souvent du travail de bébé à faire ou à compléter. les CPe et les familles sont des hauts lieux d’apprentissage. si le bébé y fait bien ses apprentissages, il aura beaucoup moins de travail de bébé à faire quand il sera adolescent. Cela constitue donc le cœur même de la prévention. Il y a plusieurs années, affiché dans le bureau d’une ministre québécoise, un parchemin reprenait la phrase suivante : « Il coûte moins cher d’aider un enfant et une famille à se construire que d’attendre qu’ils dysfonctionnent pour les soigner ». Cette phrase avait été tirée d’une étude commandée à des bailleurs de fonds, des gens qui parlent d’argent. C’était en 1995, et on tentait d’évaluer le coût des violences, des incivilités, des problèmes comportementaux des adolescents, des dysfonctionnements familiaux : il se sont rendus compte que d’attendre que ça casse avant de réagir provoquait inévitablement un gouffre, et que d’investir dans les CPe ne coûte rien à côté des frais de thérapie à venir… sérieusement, grâce au travail immense des parents administrateurs et de l’équipe du CPe, les tout-petits peuvent réussir leurs apprentissages de bébé ; ils peuvent faire leur travail 64 de bébé, et les adolescents qu’ils deviendront risquent peu d’avoir des problèmes. Ils auront de bonnes fondations, en terme de construction. en tant que parent et professionnel, il faut comprendre que l’adolescent se pose toujours la même question : est-ce que mes parents m’aiment tel que je suis ? la question est d’autant plus pertinente lorsqu’il y a plusieurs enfants dans la famille. Respecter le rythme d’un enfant, c’est lui donner toutes les chances. si on se met à comparer les enfants entre nous, c’est l’horreur. Tout comme si l’on demande à l’enfant d’occuper une place qui n’est pas la sienne. Il est important de savoir que l’enfant ne peut être que l’enfant de ses parents. Il ne peut pas être le confident, le conjoint ou le thérapeute ! la juste place de l’enfant est à revoir; en effet, il n’est pas rare que l’enfant ne soit pas à sa place au sein de sa famille. À preuve, on voit beaucoup d’enfants ou d’adolescents chefs de famille. Pour l’enfant, pour l’adolescent, il est essentiel que la place qu’il occupe soit la bonne, tout autant qu’il est important pour lui d’être dans une famille où il y a des règles. l’enfant a besoin d’interdits. Un enfant à qui on laisse tout faire se sentira profondément seul. « Nous sommes des parents formidables » en tant que parents, on sait et on doit savoir que c’est avec nous que nos enfants vont se construire : nous sommes donc les meilleurs parents ! François Dolto avait bien dit que les spécialistes allaient se bâtir un fonds de commerce sur le sentiment d’incompétence des parents. et c’était en 1988… on peut voir ce que c’est devenu aujourd’hui ! Méthodes, émissions, sites internet, tout est développé sur cette impression d’incompétence du parent. les enfants grandissent dans un triangle : l’enfant, le parent, la professionnelle. Ce triangle est d’une grande importance, pour qu’il fonctionne, il faut qu’il y ait une confiance mutuelle entre les parties. l’enfant doit avoir confiance en lui, les parents doivent avoir confiance en eux, chacun doit faire confiance aux autres pointes du triangle. Il faut que la professionnelle fasse confiance au parent, mais les règles du jeu doivent être bien claires ; iI est très important pour l’enfant et pour les adultes de respecter le monde de l’autre. « Quelle est ma place dans la famille? » se questionne l’enfant. Il pourra y répondre en fonction des trois lois qui sont portées et apportées par la famille : les lois sociales, les lois familiales et les lois individuelles. si les lois sont incohérentes, l’enfant trouvera rapidement comment profiter des failles et perdra sa contenance. ACTES DU SYMPOSIUM ET COLLOQUE INTERNATIONAL 2012 COLLOQUE

Cinq mots clés doivent alors être gardés en mémoire : la compétence, la confiance, la cohérence, l’interdit et la valorisation. la question de l’interdit est liée la à notion de sanction, qui a pour but de faire comprendre que l’adulte n’est pas d’accord avec le comportement adopté par l’enfant. Ainsi, quelques règles sont toutefois nécessaires : la sanction doit être véhiculée par la personne à qui s’adresse ce comportement un peu excessif. la sanction doit être immédiate. l’enfant ne comprendra pas si on le sanctionne aujourd’hui pour une bêtise qu’il a faite la veille. la sanction doit être juste et ne pas se tromper de « coupable ». la sanction doit être proportionnée, en ce sens que l’on ne peut pas punir de façon très excessive pour une toute petite bêtise. la sanction doit être expliquée. Pour que l’enfant puisse accepter ce cadre, il faut lui expliquer cette limite, il faut qu’il comprenne le lien qu’il y a entre la sanction et ce qu’il vient de faire. elle doit également être réaliste. Cette notion de sanction est essentielle, mais à la condition qu’elle fasse sens par rapport à l’enfant. on ne doit pas avoir peur que notre enfant ne nous aime pas si on le sanctionne. De nombreux parents n’osent pas sanctionner par peur de ne pas être aimé ; c’est le contraire qui arrive, en autant que les critères précédemment mentionnés soient respectés. le moment où les parents récupèrent leurs enfants au service de garde est très significatif à ce égard : si les adultes n’ont pas défini entre eux qui du parent ou de l’éducatrice établit les règles le soir au service de garde, l’enfant fera toutes les bêtises possibles, faisant avec son éducatrice toutes les bêtises interdites à la maison, et avec ses parents, ce qu’il n’a pas le droit de faire au service de garde. en fait, le mot « autorité » partage ses racines avec le mot « hauteur » : prendre de la hauteur, élever. Respecter l’enfant, donc : aujourd’hui, maintenant, tel qu’il est. C’est ça, le Re-connaître. 03 L’APPROCHE PIKLER-LóCzY, GRANDIR AUTREMENT Bernard MARTINo Cinéaste documentariste • France Après 65 ans de fonctionnement en tant que « pouponnière », telle que nous nommons ce type d’institution en europe, c’està-dire un internat où sont accueillis des bébés et de très jeunes enfants orphelins, abandonnés ou placés, l’Institut Pikler communément appelé « lóczy » vient de se convertir en une « crèche » accueillant en semaine et pour la journée des enfants d’âge préscolaire qui vivent en famille. l’équivalent donc pour le Québec d’un centre de la petite enfance. Rendue quelque part obligatoire par l’évolution des mentalités qui conduit à privilégier systématiquement l’accueil dans une famille de substitution à l’accueil en institution, cette mutation récente de l’Institut Pikler est intéressante à observer scrupuleusement pour plusieurs raisons. Tout d’abord cette approche innovante de la relation adulte / enfant (avec la mise en lumière des besoins essentiels des enfants et leur satisfaction pointilleuse par un adulte attentif, le concept de soin global qui en découle et qu’elle fait émerger, l’atmosphère ainsi créée qui se dégage du lieu, très justement qualifiée de « thérapeutique » par Bernard Golse) concerne désormais ipso facto la petite enfance en général et non plus la seule enfance défavorisée, comme on l’a cru trop longtemps. Ce qui valait pour la pouponnière vaut toujours pour la crèche, même si – les professionnels de nombreux pays qui réfléchissent depuis des années et s’essaient à une transposition des savoirs en ont fait l’expérience – l’expertise de la pouponnière n’est pas automatiquement convertible dans l’organisation L’ENFANT un monde à RE-CONNAÎTRE 65

COLLOQUE PARENTS ET RSG EN MILIEU FAMILIAL de la vie quotidienne en crèche. Une chose apparaît quoiqu’il en soit évidente, que les premières images tournées dans la crèche de Budapest mettent en exergue : ce que les femmes détiennent là individuellement, mais qui se nourrit à la source d’une longue expérience collective, c’est une qualité tout à fait exceptionnelle de présence à l’autre, dans le « ici et maintenant » ; c’est, au-delà d’un savoir-faire qui s’enseigne, un « savoir-être » autrement efficient vers lequel on ne peut que lentement cheminer. la pouponnière n’existe plus et si l’on n’y prend pas garde, quelque chose peut se perdre de cette connaissance unique du bébé que les femmes avaient accumulée au fil des ans. Pour l’instant, il n’y a plus de bébés de moins de huit mois dans la crèche lóczienne alors qu’ailleurs, on trouve de plus en plus de bébés de trois mois dans les crèches tant publiques que privées. la pouponnière fondée par Pikler, en tant que cœur d’une expérience vivante, a cessé de battre le 15 avril 2011 et c’est une grande perte pour nous tous, mais, grâce à la crèche qui la prolonge, quelque chose de fondamental pour tous les enfants du monde continue à profiter à la trentaine d’enfants qui l’investissent annuellement en compagnie de leurs parents. Pour aller à l’essentiel, on peut dire que ce quelque chose de difficile à cerner se caractérise, au nom de l’intérêt de l’enfant, par une résistance tranquille à l’air du temps, placé sous le signe de la vitesse et voué au culte de la performance. À l’Institut Pikler, depuis l’origine, qu’il s’agisse des enfants de la pouponnière ou de ceux de la crèche, le respect de la personne qu’ils sont se décline sur tous les tons. Respect du temps qu’il leur faut pour grandir en santé ; respect des étapes qu’ils doivent franchir et respect des aptitudes et du rythme propre à chacun pour qu’il y parvienne sans être contraint de les brûler. Il faut être au quotidien sur le terrain de l’enfance, mesurer le stress que les enfants ressentent face à des adultes déboussolés et à un système qui les plie à ses contraintes, voir les dégâts que cela occasionne sur le fonctionnement de leur psychisme pour comprendre l’actualité d’un lieu tel que lóczy et l’importance cruciale qui s’attache à la prolongation de son activité sous une forme nouvelle. Avec le relais d’une intense couverture médiatique, on entend de plus en plus parler des droits de l’enfant dans les instances internationales, alors même que partout, au quotidien, on tourne de plus en plus le dos à ses besoins. À terme, on en finirait presque par se demander si l’affirmation tonitruante 66 des uns ne masque pas la négation silencieuse des autres. on finirait par croire inévitables les dégâts et accepter la réparation vaille que vaille comme solution unique. l’existence d’un lieu où se perpétue une gestion rassurante du temps, une occupation sécurisante de l’espace par un adulte disponible et attentif, sûr de ce qu’il faut faire et de ce qu’il fait, nous rappellent sans cesse que les besoins primordiaux de l’enfant sont incontournables et que le temps qu’il lui faut pour grandir est un temps incompressible qui ne peut pas être le temps qui reste. la prévention peut et doit être la règle, alors que la réparation doit rester l’exception, pas l’inverse. 04 LA VALEUR LUDIQUE D’UNE AIRE DE JEU sylvie MelsBACH Psychomotricienne • Québec observer chez le nouveau-né des gestes orientés vers des objets atteste l’existence de circuits perceptivo-moteurs précâblés, c’est-à-dire de connexions innées entre des stimulations sensorielles spécifiques et des conduites motrices. COLLOQUE le développement moteur est lié à la mise en place de programmes de base qui vont être enrichis et perfectionnés au fur et à mesure de la maturation du système nerveux et de l’expérience. en effet, bien que génétiquement prévue, l’émergence de ces conduites motrices n’est possible que si le milieu les sollicite, leur actualisation n’étant pas automatique. l’exemple des enfants sauvages montre bien que sans modèle ni sollicitation, la marche érigée n’apparaît pas. Il faudra de nombreuses années de comportements exploratoires et de recherches d’adaptation aux contraintes de ACTES DU SYMPOSIUM ET COLLOQUE INTERNATIONAL 2012

l’environnement pour que la motricité de l’enfant devienne réellement efficace. Il s’agira donc dans les premières années, jusqu’à six ou sept ans, non pas de faire acquérir des postures ou des mouvements déterminés, mais de proposer des situations d’explorations les plus variées possible pour permettre aux enfants de développer une maîtrise croissante de leur corps. le plus difficile étant d’offrir un environnement qui sollicitera l’action spontanée de l’enfant en stimulant son activité sans l’exciter ou entraver ses explorations. C’est dans un univers adapté à ses besoins que l’enfant saura s’engager dans des activités défiant ses capacités, développant de nouvelles habiletés, exerçant de nouvelles compétences et ultimement, atteignant de façon optimale son plein développement. Dans des espaces où il pourra, à son rythme, y découvrir sa sensorialité, organiser ses coordinations sensorimotrices et ses habiletés motrices, explorer, découvrir et conquérir toutes les dimensions de l’espace et de son espace, libérer ses émotions et ses tensions. Mais c’est à partir de son activité spontanée et en fonction des transformations de l’environnement que provoque cette activité qu’un enfant cherchera à reproduire l’action par répétitions successives vers la construction d’une action motrice de plus en plus volontaire, organisée et efficace. De tels objectifs ne peuvent être atteints que si les équipements et les aménagements des aires de jeu où l’enfant est accueilli au quotidien permettent une liberté de mouvement, sans contraintes et limites inutiles tout en offrant des défis appropriés au développement des jeunes enfants. Ceux-ci pourront alors prendre les risques nécessaires pour grandir sans dangers. Plus un équipement de jeu ou une zone de jeu offre de possibilités, plus il est complexe, plus il est donc naturellement valable. Un environnement qui pose un cadre de conduite clair et qui apporte la sécurité, mais autorise la liberté motrice, c’est à cela que doit répondre une aire de jeu pensée, réfléchie, sécurisée. Au-delà des limites de l’espace, il y aura aussi l’attitude de l’adulte qui accompagne. Alors puisque l’être humain possède dès sa naissance un potentiel inné à se développer au contact de son environnement, au lieu de stimuler constamment, si les adultes passaient plus de temps à observer les enfants qui jouent, ils pourraient sûrement mieux satisfaire leurs besoins et leur offrir ce qui leur convient pour grandir. L’ENFANT un monde à RE-CONNAÎTRE 67 Toutefois, il est primordial d’offrir des endroits où les adultes pourront également jouer leur rôle, sans vivre dans la peur, l’anxiété ou l’angoisse des accidents. Pour y arriver, la mise en place d’un cadre de conduite est nécessaire, d’abord dans le « contenant environnemental », mais aussi dans le contenu du discours de l’adulte, qui doit être bienveillant, qui expliquera clairement et simplement les exigences. Dans l’aire de jeu, tout est balisé : « Vous pouvez sauter en bas, vous suspendre, glisser à plat ventre et c’est à cet endroit, seulement là, que ça se passe. » Dans cet encadrement, l’enfant pourra alors exprimer sa liberté, une liberté accompagnée par des adultes qui se seront éloignés de la peur, ce sentiment qui freine et handicape les enfants dans leur propre démarche d’apprentissage. Parce qu’elle exige de lui une trop grande énergie, cette envahissante angoisse de la sécurité excessive empêche l’adulte de faire et de laisser-faire, ce qui devient un obstacle important à l’épanouissement même des enfants. l’environnement physique, tout comme l’environnement social et les relations interpersonnelles, a une influence directe sur le développement de l’enfant et l’attitude de l’adulte. Il est nécessaire pour toute collectivité de penser ses environnements de jeu en regard d’une réponse aux besoins, aux potentialités et aux compétences des jeunes enfants. Pour ce faire, ces environnements doivent tenir compte des particularités de ceux-ci dans leur façon d’aborder le monde, de se connaître et se reconnaître à travers les expériences sensorimotrices qu’ils vivent. Ainsi, on pourra donner sens à la place des tout-petits dans la société et les outils d’accompagnement nécessaires pour les adultes qui cheminent jour après jour à leurs côtés.

COLLOQUE CoNCoUR s D e PHoToGRAPHIes UN REGARD SUR L’ ENFANT l’organisation du Colloque a ouvert la voie à la tenue d’un concours de photographies, lancé dès juin 2011 à travers la Montérégie. Profitant des quatre saisons et de toutes les couleurs qui peuvent y éclore, les parents et les membres du Regroupement ont accepté de se prêter au jeu de l’objectif et de poser un regard sur l’enfant et sur son monde. Thématique du regard, thématique de l’enfant… Ce concours de photographies a permis de témoigner de la beauté de l’enfance. Aussi touchantes les unes que les autres, 351 photographies ont été soumises aux membres du jury, trois personnes qui ont eu la difficile tâche de choisir : le photographe de presse Ivanoh Demers a accepté d’assumer la présidence du jury. largement reconnu pour la qualité de ses photographies, monsieur Demers a été plusieurs fois primé dans le cadre de ses reportages. le jeune garçon haïtien qu’il a photographié quelques secondes à peine après le tremblement de terre de janvier 2012 a fait le tour du monde dans les heures qui ont suivi le drame. Il a également remporté le prix de la meilleure photographie de reportage lors du 23e gala du Concours canadien de journalisme tenu en avril 2012 à Toronto. le RCPeM a pu compter sur les grandes qualités de cœur et d’esprit de madame Isabelle Lizée, responsable du module vie associative et formation au Carrefour Action Municipale et Famille, et de monsieur Steve Fontaine, coordonnateur du marketing et événement à la Fondation Lucie et André Chagnon, pour compléter ce jury prestigieux. les quinze prix et deux mentions spéciales ont été dévoilés le samedi 5 mai 2012, lors du Colloque. les 351 photographies soumises dans le cadre de ce concours ont pu être vues et appréciées tout au long du Colloque, de même qu’elles serviront au fil du temps à illustrer l’une ou l’autre des productions du Regroupement des centres de la petite enfance de la Montérégie, qui se fera un grand honneur de les utiliser. 68 ACTES DU SYMPOSIUM ET COLLOQUE INTERNATIONAL 2012

CATÉGORIE L’ ENFANT, UN ÊTR e D ’ ÉMoTIoN s 1 1er er prix 2 prix : « FIERTÉ » ••• stéphane Thellen, parent au CPe Abracadabra 3 prix : « DoUCe MÉlANColIe » ••• Brigitte Baraby-Larose, éducatrice au CPE Domisol • Pour la technique parfaite de la photographie où notre regard est irrépressiblement attiré par le regard de cet enfant qui pose un million de questions, qui attend quelque chose et qui, de façon intangible, nous interpelle. 2e 3e prix : « PAs DRôle » ••• Caroline laflamme, éducatrice au CPe de saint-luc CATÉGORIE L’ ENFANT, UN ÊTR e D e R el ATIoN s 1 1er er prix 2 prix : « INsÉPARABles » ••• Vicky Larin, éducatrice au CPE Mon Monde à Moi • On y voit des enfants de dos, mais la relation entre eux est évidente; ils se donnent la main, on imagine la discussion et la complicité qu’ils peuvent avoir. Une excellente technique et une composition efficace. 2e prix : « DANS LES YEUX » ••• Vicky larin, éducatrice au CPe Mon Monde à Moi 3e prix : « LA BANDE DES QUATRE » ••• louise Mandeville, directrice du CPe la Petite semence M Mention spéciale du jury : « lA VIe DeVANT soI » ••• Caroline laflamme, éducatrice au CPe de saint-luc L’ENFANT un monde à RE-CONNAÎTRE 69 3

CATÉGORIE L’ ENFANT, UN ÊTR e D e J e U e T D e DÉCoUV e R T es COLLOQUE 1 er prix 2 3 1er prix : « lA MARCHe De l’AlGUe » ••• Caroline Laflamme, éducatrice au CPE de Saint-Luc • Techniquement impeccable, offrant des couleurs parfaites, il y a dans cette photo quelque chose qu’on ne voit pas, mais que l’enfant voit, sans aucun doute. 2e prix : « ÉlÉGANCe » ••• Carole Mondor, directrice du CPe ses Amis 3e prix : « NoAH lIT les INsTRUCTIoNs » ••• Karine Abdel, parent au CPe les Mousses du Mont CATÉGORIE L’ ENFANT, FIER DE SA FAMILLE 2 1 1er er prix 3 prix : « ReGARDs » ••• Émilie Auclair, éducatrice au CPE Domisol • Tout va bien dans cette famille, les regards échangés traduisent la complicité, l’humour, la fierté, la joie de l’enfance et la tendresse de la plus grande face aux petits ! 2e prix : « CIel eT RACINes » ••• Caroline laflamme, éducatrice au CPe de saint-luc 3e prix : « Mes soeURs » ••• luc loiselle de longueuil 70 ACTES DU SYMPOSIUM ET COLLOQUE INTERNATIONAL 2012

CATÉGORIE L’ ENFANT, UN ÊTR e DoNT oN PR e ND soIN 3 1 1er er prix 2 prix : « le DRoIT CHeMIN » ••• Martin Filion, parent au CPE Les Trottinettes • Au-delà d’une technique parfaite, tout dans ce moment de vie est pensé pour le bien-être des enfants. la chaleur du lien est évidente et on y sent presque la tarte aux framboises que mamie va servir au souper ! 2e prix : « PeTIT TRÉsoR » ••• Brigitte Baraby-larose, éducatrice au CPe Domisol prix : « AUX PETITS SOINS » ••• Brigitte Baraby-larose, éducatrice au CPe Domisol Mention spéciale du jury : « MATeRNel » ••• Caroline laflamme, éducatrice au CPe de saint-luc 3e M FICHES D’ACTIVITÉS de réinvestissement sur le Programme éducatiati Fruit du travail accompli au fil des ans par les conseillères pédagogiques OUTIL UNIQUE propose des stratégies d'expérimentations et Programme éducatif, guidées par des réflexions approfondies sur l’enfant et sur le rôle de iques rl’enfantet l’éducatrice. L'outil qui comprend des fiches d’activités et des DVD est conçu à l’intention de toute personne responsable du soutien pédagogique dans un service de garde ou un bureau coordonnateur. RÉINVESTIR EN ÉQUIPE, POUR UNE PRATIQUE DE QUALITÉ : C’EST POSSIBLE ! Les FICHES D’ACTIVITÉS de RÉINVESTISSEMENT sur le Programme éducatif incluant 3 DVD sont disponibles au RCPEM : Pour les membres du RCPEM : 49.95$ - (TPS, TVQ, poste et manutention en sus) Pour les non-membres du RCPEM : 69,95$ - (TPS, TVQ, poste et manutention en sus) L’ENFANT un monde à RE-CONNAÎTRE POUR OBTENIR VOS EXEMPLAIRES www.rcpem.com 450.672.8826 poste 221 cpemonteregie@rcpem.com 71 érégie cet du NOUVEAU

CARNET SOUVENIR LE SYMPOSIUM ET COLLOQUE INTERNATIONAL 2012 UN RENDEZ-VOUS PETITE ENFANCE MÉMORABLE pour 28 conférenciers et 1 506 participants ÉVÉNEMENT S.O.S PLANÈTE Une gestion ÉCO-RESPONSABLE C’est avec beaucoup de fierté que le Regroupement des centres de la petite enfance de la Montérégie (RCPEM) a accueilli les participants et les conférenciers dans le cadre d’un événement qui s’est distingué par sa gestion éco-responsable, un événement « S.O.S. Planète ». En collaboration avec l’Hôtel des Seigneurs de Saint-Hyacinthe et la participation de son Comité Vert l’Avenir, le Regroupement a organisé le Symposium et Colloque international 2012 dans une perspective de développement de société viable et de développement durable. La gestion écologique de cet événement a contribué, de manière responsable, à l’atteinte des objectifs du plan de gestion des matières résiduelles que le gouvernement du Québec s’est assignés. Quant à la plantation d’arbres pour compenser les gaz à effet de serre produits par les déplacements des participants et des conférenciers, elle représente pour le RCPEM un engagement tangible en faveur du respect du protocole de Kyoto. L 72 L SOS PLANÈTE C O O Q U E

LE SALON DU LIVRE, UN LIEU DE RENCONTRE ET D'ENRICHISSEMENT Ils nous ont parlé et fait réfléchir tout au long du Symposium et Colloque international, et presque tous, ils ont aussi écrit, un jour ou l'autre ! Pour que leur réflexion puisse se poursuivre et être approfondie dans nos milieux respectifs une fois l'événement terminé, le Regroupement a offert aux participantes l'occasion de se procurer leurs ouvrages : livres, films ou revues étaient disponibles aux stands du Salon du Livre. Ce fut un moment pour bouquiner et pour faire signer les auteurs ! SE RETROUVER EN ÉQUIPE… Les équipes inscrites au Banquet se sont retrouvées pour un repas et une soirée de danse dont on se rappellera longtemps. C’est avec brio que DG Abeille, Jean-François Gagnon et Patrick Lalancette ont fait bouger 739 personnes jusqu’aux petites heures du matin. S’arrêter pour prendre le temps de vivre ensemble un moment festif entre collègues contribuent à tisser les liens et à enrichir les équipes de travail. 73

UNE ÉQUIPE INDISPENSABLE ! Le succès d’un tel événement réside dans l’engagement d’une équipe, dans l’implication de professionnelles du milieu, dans le partage de visions, la mise en commun d’expertise… Dans le cadre du Symposium et Colloque international 2012, le Regroupement a su s’entourer d’une équipe exceptionnelle, merci à chacune et à chacun d’entre vous ! ••• Jean-François Beaule ••• ••• Nathalie Blouin ••• Chantal Bellavance ••• Naïma Boumedine ••• Cécile Hanna ••• ••• Sylvain Duquette ••• Cloé Émery Brassard ••• ••• Johanne Gauvin ••• ••• Cassandra Letartre ••• ••• Sylvie Martel ••• ••• Céline Ricard ••• ••• Annie Tremblay ••• Sylvie Melsbach ••• Réjean Robin ••• Lucie Veilleux ••• Jocelyne Bernier ••• Josée Charette ••• Thérèse Émery ••• Julie Brassard ••• Manon Cardinal ••• Charlotte Bergeron ••• Manon Ferland ••• Diane Héroux-Jean ••• Carole Leclerc ••• Annie Rodrigue ••• Laurent Verville Josée Leroux ••• Annie Marcotte ••• Julie Marois (RCPEM) ••• Johanne Pelletier ••• Claudette Pitre-Robin ••• Lise Rosa ••• Patrick Roy ••• Monique Legros Loïc Côté ••• Josée Dumoulin ••• France Bertrand Anik Dupuis Pierre Gagnon ••• Mélanie Gauthier ••• Brigitte Lépine Julie Marois (CPE Rayons de Soleil) Nathalie Quintin ••• Nathalie Sapina ••• Danielle Renaud Karine Tétreault NOUS REMERCIONS CHALEUREUSEMENT l’équipe du Centre des Congrès de St-Hyacinthe qui s’est particulièrement démarquée. 74

LE COFFRET DE DVD INTITULÉ LÓCZY VU PAR... Miriam David, Maria Vincze, Judit Falk, Geneviève Appell et Anna Tardos LES PARTENAIRES DU SYMPOSIUM ET COLLOQUE Un événement qui accueille 1 506 personnes sur trois jours ne peut se réaliser sans l’apport incontournable de partenaires. Le Regroupement des centres de la petite enfance de la Montérégie est reconnaissant d’avoir bénéficié de la confiance et du précieux soutien de ses partenaires : Devant l’expression des intervenantes et éducatrices à la petite enfance d’une réelle avidité de mieux connaître l’approche piklérienne, le RCPEM a souhaité trouver les meilleures façons pour leur faire profiter de la richesse de cette dame exceptionnelle qu’était Emmi Pikler. En collaboration avec l'Association Pikler Lóczy - France, le RCPEM a ainsi conçu et réalisé un rêve : celui de capter, en images et en mots, le témoignage de cinq femmes exceptionnelles qui ont côtoyé et partagé le quotidien d’Emmi Pikler. Myriam David, Maria Vincze, Judit Falk, Geneviève Appell et Anna Tardos ont ainsi accepté de se prêter à l’expérience et de livrer un peu d’elles-mêmes au cinéaste Bernard Martino à qui le mandat a été confié. Des cinq femmes dont le cinéaste a su capter le regard, les souvenirs et leur passion encore bien vive pour l’enfance, trois ne sont plus de ce monde. Regroupées dans un coffret intitulé « Lóczy vu par… », les entrevues de ces femmes incomparables constituent le témoignage d’une époque encore bien vivante, en interpelant quiconque croit que le respect de l’enfant est à la base de toute intervention pédagogique. Chacune parle de l’Institut Pikler avec circonspection, pesant chaque mot, abordant la réussite d’avoir fait exister pendant plus d’un demi-siècle ce « haut lieu d’humanité ». À travers le regard que portent Myriam David, Maria Vincze, Judit Falk, Geneviève Appell et Anna Tardos sur l’Institut, sur sa fondatrice et sur l’avenir de la crèche, on perçoit clairement que la place de l’enfant est centrale dans tout geste éducatif que l’on pose sur lui. Le coffret de DVD « Lóczy vu par… » est en vente au RCPEM. Il est disponible en version NTSC pour l'Amérique du Nord et en version PAL pour l'Europe. 75 - Centre des Congrès de St-Hyacinthe - AON Hewitt - Cain Lamarre Casgrain Wells - Les producteurs laitiers du Canada - Amigest - Éric Le Peintre - Institut de Saine Gestion - Assurances Andrée Bernier & Filles inc - Samajam - Imaginéo - William Coop 1 506 fois merci !

Notre équipe est fière d’avoir collaboré au succès

Participant au Symposium et au Colloque international 2012 le CPE L’APPRENTI SAGE est l’heureux gagnant d’un prix de 6 000$ Ainsi le CPE pourra faire repeindre gratuitement aux couleurs de son choix 5000 p2 par un peintre spécialisé en CPE. Pour un travail minutieux appelez Le Peintre nocturne, spécialisé en CPE, au 514.815.3457 Le RCPEM remercie Éric Le peintre, fier partenaire grâce à qui cette remise de prix a été possible.

1854, boul. Marie, Saint-Hubert (Québec) J4T 2A9 Tél. : 450.672.8826 Téléc. : 450.672.9648 www.rcpem.com cpemonteregie@rcpem.com

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