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04 DES SENS AU SENS Le travail de la polysensorialité Bernard Golse Pédopsychiatre et psychanalyste • France l’importance de la sensorialité dans le champ de la construction du sujet n’est plus à démontrer actuellement, et il y a même là un domaine de dialogue, enfin possible, entre la psychanalyse et les neurosciences. exister comme une personne (devenir quelqu’un). Nous savons mieux, aujourd’hui, à quel point les émotions et la polysensorialité du bébé se trouvent en position centrale dans l’étude des interactions précoces dont le dialogue tonique, ou tonicoémotionnel, s’avère désormais un élément essentiel, et la question de la synchronie polysensorielle se trouve aujourd’hui au cœur de toutes les réflexions sur les interactions précoces (A. Ciccone). La comodalisation des flux sensoriels selon le point de vue cognitif en français, nous avons la chance de disposer du même signifiant pour les deux signifiés différents que sont les organes de la sensorialité (les sens) et la signification (le sens), ce qui montre à quel point l’accès au sens, ou le chemin des connaissances, dépend fondamentalement de la sensitivité et de la sensorialité, et c’est tout l’intérêt de faire, ainsi, un lien entre la dynamique du développement psychique et cette convergence linguistique particulière. Dans son travail sur le « Moi-Peau », Didier Anzieu avait, en son temps, beaucoup insisté sur le fait que, selon lui, la réflexivité de la pensée s’enracinait dans la réflexivité de la sensorialité, et en particulier dans celle de la peau qui précède, probablement, toutes les autres : dès que l’on touche, on est touché par ce que l’on touche, et c’est seulement dans un temps second que ce couplage entre la position active (toucher) et la position passive (être touché) s’organisera au niveau des autres sensorialités (voir / se voir, entendre / s’entendre, sentir / se sentir, goûter / se goûter). Des sens au sens, il y a ainsi tout un chemin qui ouvre sur la construction de la réflexivité psychique, laquelle se trouve au cœur même des processus de subjectivation, soit des processus qui permettent au bébé, une fois né, de se sentir L’ENFANT un monde à RE-CONNAÎTRE Un certain nombre de travaux de type cognitif (A. streri) nous apprennent aujourd’hui que l’articulation des différents flux sensoriels issus de l’objet est nécessaire pour que le sujet puisse prendre conscience du fait que l’objet concerné lui est bien extérieur. Autrement dit, aucun objet ne peut, en effet, être ressenti comme extérieur à soi-même, tant qu’il n’est pas appréhendé simultanément par au moins deux modalités sensorielles, ce qui met nettement l’accent sur l’importance de la comodalisation comme agent central de l’accès à l’intersubjectivité. Il nous semble qu’à leur manière, les cognitivistes rejoignent, là, une position psychodynamique classique selon laquelle la découverte de l’objet est fondamentalement coextensive de la découverte du sujet, et réciproquement dit, même si les travaux cognitivistes font, en réalité, le plus souvent référence à une intersubjectivité primaire d’emblée efficiente chez le bébé. en effet, repérer l’objet comme extérieur à soi-même suppose, dans le même mouvement, de reconnaître le soi comme l’agent des perceptions en jeu et pas seulement comme l’agent des actions produites (processus d’agentivité). Le vécu d’extériorité de l’objet : une convergence entre psychanalyse et cognition Vivre l’objet comme extérieur à soi-même, soit le vivre en extériorité, suppose donc, bien évidemment, l’accès à l’intersubjectivité, et l’élaboration du deuil de l’objet primaire qui sous-tend le processus de différenciation extrapsychique. D’un point de vue psychodynamique, cette possibilité de vivre l’objet en extériorité se trouve éclairée par les concepts de mantèlement et de démantèlement (D. Meltzer), tandis que d’un point de vue cognitiviste, c’est le processus de comodalisation des flux sensoriels émanant de l’objet qui se trouve au premier plan des réflexions. Il y a donc, là, à propos de l’articulation des flux sensoriels, une certaine convergence à signaler entre les deux approches, psychodynamique et cognitive. Cette convergence entre les deux types d’approche, 31

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