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SYMPOSIUM Vous me parliez, surtout maman. et en palpant le ventre où j’étais niché, vous me caressiez. Moi j’étais actif ; quel travail ! Ces milliards et milliards de cellules qui doivent se différencier, se rejoindre, s’organiser, et peu à peu former un tout qui ressent des effleurements, des balancements, des glissements, qui entend des drôles de bruits, qui boit et rejette un liquide dans lequel je nageais en paix, rattaché à un cordon qui me donnait la vie. et puis je suis sorti, facilement ou avec un grand malaise réciproque. et quand pour la première fois, j’ai poussé un cri, vous l’avez entendu comme un appel, presque comme une conversation. Vous m’avez regardé des pieds à la tête, pour vérifier si j’étais bien complet, et vous m’avez langé, c’est-à-dire que pour la première fois d’une vie qui avait déjà neuf mois, vous m’avez habillé, mais pas n’importe comment ! en rose ou en bleu… Vous avez trouvé bien sûr que j’étais le plus beau bébé du monde, tout en me déposant d’abord longuement contre votre poitrine, puis dans ma deuxième demeure, celle d’un berceau inondé de vos présences. Au début, je dormais beaucoup, mais très vite, j’ai été en vigilance, prêt à répondre à vos sollicitations. Quand vous vous approchiez de moi, quand vous me leviez et que me parliez, quand vous me berciez, quand vous me plaquiez contre votre sein, quand vous me laviez, ma peau, mes oreilles, mes yeux, ma bouche, mon nez recevaient tous ces messages. Je vibrais dans mon corps au point où la tension de mes muscles se modifiait, que mon dos se raidissait comme si tous les tendons, toutes les fibres nerveuses résonnaient à la façon des cordes d’une harpe et me chantaient une sorte de musique devenant peu à peu une mélodie déchiffrable. Vous m’enveloppiez de sensations. et mon propre cocon de peau formait lui aussi une enveloppe me permettant de découvrir que j’existais en tant que corps, que j’avais un dedans et un dehors, que j’occupais un espace dont les limites se précisaient peu à peu. Ha, on a échangé des regards quand je tournais les yeux vers vous ! Maman, un petit moins papa parce qu’il avait neuf mois de retard, répondait au même moment non seulement par les 18 yeux, mais par un sourire, par des mots, qui me disaient « mon bébé… » ou bien « je t’aime… ». De mon côté, je ne restais pas passif. J’étais capable de vous suivre des yeux quand vous vous déplaciez, ma nuque devenait plus ferme, mes mouvements plus organisés, mes bruits un peu plus ondulés. et quand vous deveniez un petit peu trop envahissant, parce que vos marques d’affection devenaient trop encombrantes pour que je puisse les assimiler, je tournais la tête, je fixais un coin du plafond ou je m’endormais. Vous aussi, je l’ai bien senti, vous saviez doser ce que vous m’apportiez, et quand au très fond de moi-même il y avait comme une grande vague d’angoisse, de colère et d’un je-ne-sais-quoi d’engouffrant, vous me teniez bien fort. Vous transformiez ma peine en des sons, des mots, que je pouvais absorber. on est devenus des partenaires qui ont su s’ajuster aux bizarreries, aux caprices, aux richesses et aux limites de l’autre. À six mois, le monde s’est modifié, car j’ai pu me tenir vraiment assis, sans basculer de droite et de gauche. J’ai pu commencer à si bien coordonner mes gestes et à devenir si habile que les objets autour de mois sont devenus autant de choses non seulement à tenir, à cogner, à lécher, mais à découvrir puis à explorer. en fait, c’est un peu à partir de ce moment-là que ce sont créés deux mondes : celui de mes explorations solitaires, et puis celui d’un partenariat ajusté avec vous. Alors, parlons des deux mondes. le monde solitaire, à condition que vous repériez quand j’avais besoin de vous, je le trouvais extraordinaire. Je vous donne quelques exemples pour que vous compreniez. Vous aviez suspendu au-dessus de mon berceau un drôle d’objet dont s’échappaient des sortes d’étoiles. selon la lumière de la pièce, les scintillements étaient différents, et je passais des longs moments à regarder osciller ce firmament. Ça bougeait à des rythmes différents, ça tournait plus au moins vite autour de ma tête et j’ai peu à peu compris que toutes ces brillances n’étaient pas les mêmes quand je gigotais sur mon matelas ou quand je restais immobile. J’ai donc remué, pour vérifier, et vous n’allez sans doute pas me croire, mais dès mes premiers mois, j’ai pu constater que je pouvais agir sur ce qui était autour de moi. le bébé que vous pensiez autrefois être un petit tube digestif sans beaucoup de pensées inscrites dans mon crâne, hé bien ce bébé-là faisait une découverte à couper le souffle : je pouvais devenir le maître de mes étoiles. Avec un hochet c’était encore plus étonnant. Après l’avoir regardé, sucé, cogné et laissé tomber, j’ai remarqué qu’à chacune de ses chutes en-dehors de mon berceau vous veniez le ramasser ACTES DU SYMPOSIUM ET COLLOQUE INTERNATIONAL 2012

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