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COLLOQUE les travaux de l’institut Pikler-lóczy (à Budapest) démontrent clairement la possibilité d’une prévention précoce de l’hyperactivité. l’hyperactivité nous amène ainsi à nous questionner quant aux définitions du normal et du pathologique dans le cadre du développement et de l’évolution mentale de l’enfant, avec la délicate problématique des variations de la normale. elle pose aussi des questions sur l’acceptation par la société d’un supposé trouble de l’enfant. Mais, il importe aussi de dire, que plus une société est agitée, moins elle supporte les enfants agités, et plus elle crée pourtant, paradoxalement, les conditions mêmes de leur agitation ! Fondements épistémologiques des différents modèles étiopathogéniques lors d’un congrès de l’esCAP (european society for Children and Adolescent Psychiatry) qui s’était tenu à Paris, en 2003, nous avons bien senti la substitution de clivage qui s’était opérée avec le passage du clivage classique entre organogenèse et psychogenèse, à un nouveau clivage entre une « clinique de l’instant » et une « clinique de l’histoire ». Il y avait déjà là une certaine bascule du point de vue épistémologique général, mais la réflexion épistémologique nous amène également, me semble-t-il, à bien différencier, dans le champ spécifique de l’hyperactivité, les modèles endogènes, les modèles exogènes et les modèles interactifs, avec une sorte de gradient progressif quant à la composante interactive qui les imprègne. - les conceptions anglo-saxonnes renvoient, de fait, à des modèles endogènes. on citera ici le modèle médical linéaire fondé sur la notion de « trou métabolique » (notamment dopaminergique) et l’hypothèse d’une anomalie de la modularité des processus d’attention. - la psychopathologie réactionnelle renvoie, quant à elle, à des modèles exogènes (carences d’ambiance, dépressions maternelles précoces, troubles de l’attachement...). Il importe, toutefois, de laisser toute sa place à la théorie de l’après-coup, car il est clair que ces diverses conditions environnementales ne font pas la même chose à chaque enfant en fonction de son histoire trans- et intergénérationnelle. - les modèles interactifs, enfin, peuvent être compris, désormais, en termes constructivistes. Le rôle des dépressions primitives du bébé Qu’il s’agisse de carences d’ambiance et d’apport relationnel ou de dépressions maternelles (ou parentales), il y a là des situations dépressogènes pour le bébé en l’absence de tiers 56 capable de protéger le bébé. Il importe de souligner qu’il est actuellement très difficile de dire si le bébé souffre directement de la sous-stimulation interactive ou de l’absence de tiers en tant que telle, ou des deux à la fois. en tout état de cause, la faillite du holding initial amène le bébé, dans la perspective des travaux d’esther Bick, à se constituer une « deuxième peau substitutive » par l’agitation motrice qui renvoie à la fois à la question des défenses maniaques et des défenses opératoires. Ces défenses ne donnent pas lieu véritablement à un risque cognitif, mais elles permettent au bébé d’éprouver moins intensément les affects négatifs (anxieux et dépressifs). si la situation perdure, la synchronie polysensorielle se trouve compromise avec la possibilité d’émergence de mécanismes autistiques non structuraux. Comme on le sait, cette deuxième peau motrice s’avère longtemps réversible, mais l’anamnèse se doit d’être très soigneuse afin de tenir compte de cette histoire dépressive précoce pour guider l’offre thérapeutique (psychothérapie individuelle ou groupale). En guise de conclusion : les enjeux thérapeutiques la réflexion épistémologique n’est en rien un luxe gratuit, car il n’y a pas de choix thérapeutique possible qui ne renvoie, de fait, à une conception épistémologique des modèles de référence. les enquêtes récentes ont révélé un décalage croissant aux États-Unis entre la réalité des pratiques de terrain d’une part, et d’autre part les recommandations officielles. Il en résulte une expansion considérable des prescriptions de psychotropes. l’exemple de ces dérives doit nous inciter à maintenir les règles strictes qui encadrent les prescriptions de psychostimulants en France, et qui semblent avoir permis de maintenir l’usage de ces médicaments dans des limites acceptables. l’axe psychopathologique de nos réflexions ne saurait ainsi être sous-estimé, de même que l’approche psychanalytique de ces difficultés dont la mise en sens permet à l’enfant, non pas de modifier les événements relationnels auxquels il a été confronté, mais de changer le regard qu’il porte sur eux, c’està-dire d’en élaborer progressivement une narrativité différente et qui représente, en soi, une modalité efficace d’intervention parallèlement aux autres mesures disponibles. Telle est, en tout cas, notre conception actuelle d’une approche raisonnée de l’hyperactivité dont les fondements épistémologiques demandent donc à être explicités avec, précisément… la plus grande attention ! ACTES DU SYMPOSIUM ET COLLOQUE INTERNATIONAL 2012

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